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ils se tirent chacun un coup de pistolet, en se tenant étroitement embrassés. L’histoire dit qu’ils s’étaient armés aussi de deux poignards, pour s’achever dans le cas où les pistolets ne les auraient pas tués raides, mais que cette funeste précaution avait été superflue. Des lettres écrites de Lyon par des personnes respectables assurent la vérité de ce fait singulier et bizarre, avec tous ses détails[1].

— Pour revenir à Ferney, le patriarche, entièrement livré au projet de faire un supplément de plusieurs volumes à l’Encyclopédie, n’a pu depuis longtemps nous édifier, suivant son usage, par ses pamphlets pleins de philosophie et de gaieté, qui se succèdent ordinairement avec tant de rapidité. Cependant il n’a pu se refuser au plaisir de faire un petit plaidoyer contre les chanoines de Saint-Claude, ses voisins de l’autre côté du mont Jura. Ces chanoines étaient autrefois des moines bénédictins ; en 1742, ils furent sécularisés, et leur chef, d’abbé qu’il était, devint évêque. Ils ont aujourd’hui un procès dont l’instance est au conseil des dépêches : leur prétention est que tous leurs paysans sont des serfs attachés à la glèbe en vertu d’anciens droits dont ils espèrent maintenir la possession. Le patriarche n’a pas voulu manquer cette occasion de plaider en faveur de la liberté naturelle contre des moines devenus chanoines, qu’il traite d’usurpateurs. Son écrit, qui n’a que seize pages in-12, est intitulé Au roi, en son conseil, par les sujets du roi, qui réclament la liberté de la France, contre des moines bénédictins devenus chanoines de Saint-Claude, en Franche-Comté. Pour la forme juridique, il est signé par Lamy, Chapuis et Paget, procureurs spéciaux. L’objet de ce mémoire est de prouver que toute servitude personnelle est abrogée en France, et que les titres des moines de Saint-Claude contre leurs paysans sont ou faux, ou contraires à leurs prétentions. Cela est fait fort à la hâte, et n’a pas le cachet ordinaire de cette incomparable manufacture ; mais le germe des bons principes y est toujours.

Au milieu de cette Encyclopédie, commencée dans la soixante-seizième année de son âge, et qui sera achevée, s’il plaît à la

  1. C’est sur ce sujet qu’a été faite une pièce plus que médiocre, intitulée Célestine et Faldoni, et jouée au théâtre de l’Odéon, le 16 juin 1812, avec un extraordinaire succès. L’auteur de ce drame est M. Hapdé. Ce funeste événement fournit aussi à M. Léonard le fond des Lettres de deux amis de Lyon. (T.)