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en ce genre. L’auteur connaît bien le secret des propos à deux tranchants, dont l’effet est toujours sûr au théâtre, parce que le spectateur est dans la confidence de la signification détournée et cachée que l’acteur attache à ce qu’il dit. Un autre mérite de l’auteur, qui n’est pas très-commun, c’est qu’il a su conserver à son comte de Volsay le ton du grand monde, quoiqu’il soit dupe et sot depuis le commencement jusqu’à la fin. Il était très-aisé de le rendre d’une bêtise très-commune sur nos théâtres, mais qui n’est que celle de l’auteur, et qu’on ne rencontre guère dans le monde, parce que l’esprit le plus borné devient clairvoyant lorsqu’il s’agit de ses intérêts. C’est quelque chose que d’avoir évité cet écueil, contre lequel se brisent presque tous nos petits auteurs sans talent. M. Barthe sait aussi le petit secret de baptiser ses personnages de très-bon goût, et je conseille à M. Marmontel, à M. de Saint-Lambert, et à plusieurs de nos poëtes, de tâcher de lui voler ce petit secret, parce que, dans la profession qu’ils exercent, il n’y a rien à négliger.

Je crois que M. Barthe a véritablement du talent pour le théâtre, et je ne l’aurais pas cru lorsqu’il donna, il y a environ quatre ou cinq ans, sa petite comédie de l’Amateur. Il y a de l’esprit et du talent dans les Fausses Infidélités et dans les Perfidies à la mode. M. Barthe a dans son portefeuille encore une autre pièce en trois actes, qui sera sans doute lue, reçue et jouée à la Comédie-Française. C’est la Mère jalouse, sujet théâtral qui exige beaucoup de finesse et une grande connaissance du cœur humain[1].

— J.-J. Rousseau se trouve depuis quelque temps à Lyon. Il a quitté son asile du Dauphiné, le château de Bourdeille, si je ne me trompe. On prétend que c’est à cause d’une brouillerie survenue entre lui et la dame du château ; mais il me semble qu’on n’en sait rien de positif[2]. Ce qui est plus sûr, c’est qu’il a traité le sujet de Pygmalion dans un acte d’opéra-comique, moitié chanté et moitié parlé[3], suivant les us barbares de la nouvelle cuisine française. Il n’y a, à ce qu’on assure, qu’un

  1. La Mère jalouse fut représentée le 23 décembre 1771. Voir ci-après la lettre du 1er janvier 1772.
  2. Dans une lettre à M. de Cesarges, propriétaire du château de Monquin, et non de Bourdeille, datée de la fin d’avril 1770, Rousseau fait connaître la cause de sa sortie de cette retraite.
  3. Cela était bien peu sûr ; car il ne se trouve pas une seule phrase chantée dans Pygmalion. (T.)