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en invention : quand ses fables ne sont pas communes et plates, elles sont ordinairement inventées avec tant d’effort et de travail que le lecteur partage involontairement la fatigue du poëte. Je persiste dans mon premier sentiment sur cet ouvrage : s’il n’échappe à l’injure du temps que par fragments, la postérité le comptera au nombre des meilleures productions de notre siècle, parce qu’il y a plusieurs morceaux de la plus grande beauté ; mais il me semble qu’on peut dire : Infelix operis summa[1], parce qu’il y a trop de langueur et de monotonie. Il ne faut donc pas trop crier à l’injustice du peu d’accueil que ce poëme a reçu. Sans doute qu’il aurait procuré à son auteur la plus haute réputation il y a soixante ans ; mais il est injuste de vouloir que nous soyions aussi friands aujourd’hui qu’avant que nous eussions un Voltaire : je suis persuadé que Virgile gâta un grand nombre de réputations de poètes très-estimables qui vinrent après lui. M. de Saint-Lambert a aussi ajouté quatre contes nouveaux à son recueil de Fables orientales dans le goût de Sadi, savoir ; l’Esprit des différents états ; les Lumières ; le Besoin d’aimer et la Visite. Ces Fables orientales sont, de toutes les productions de M. de Saint-Lambert, celles que j’estime le plus ; elles sont écrites avec beaucoup de force et d’éloquence, et quelquefois même avec grâce, quoique l’auteur soit naturellement sévère et un peu sec ; le sens en est profond, la morale élevée, grave et pure.

— C’est un étrange vertige que celui de M. de Moissy de nous accabler de drames moraux écrits dans le genre ennuyeux pour le progrès des bonnes mœurs et pour le dessèchement des lecteurs. Il a déjà parcouru tous les âges de la vie humaine dans son École dramatique, et après avoir administré au public l’extrême-onction dans la dernière de ses pièces à proverbes, il devrait au moins nous laisser tranquilles ; mais ne voilà-t-il pas qu’il attaque de nouveau le beau sexe et qu’il va lui prouver par une comédie qu’il faut qu’une bonne mère nourrisse ses enfants elle-même ? Ce traité moral est intitulé la Vraie Mère ; drame didacti-comique en trois actes et en prose. Les acteurs sont la femme d’un négociant, accouchée depuis sept mois et nourrissant son enfant ; la femme d’un employé dans les Fermes,

  1. Horace, Art poétique, vers 34.