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taire ; mais elles ne sont pas en usage en France : on dit qu’on accordera à Le Kain une représentation à son profit, et qu’elle se donnera sur le théâtre de l’Opéra. Ce qu’il y a de sûr, c’est que sa santé n’est plus assez forte pour qu’il puisse se promettre de pousser ses nouvelles épargnes bien loin ; et quoique l’argent ne soit pas la monnaie avec laquelle on achète le génie, il n’en est pas moins vrai que les arts et les talents disparaissent lorsque le gouvernement et la nation cessent de les récompenser avec magnificence.

— Un des meilleurs ouvrages qu’on nous ait donnés depuis longtemps, c’est la traduction de l’Histoire du règne de l’empereur Charles-Quint, précédée d’un tableau des progrès de la société en Europe, depuis la destruction de l’empire romain jusqu’au commencement du seizième siècle, par M. Robertson, docteur en théologie, principal de l’université d’Édimbourg, et historiographe de Sa Majesté britannique, pour l’Écosse ; ouvrage traduit de l’anglais, formant deux volumes in-4°, ou six volumes in-12. Cette histoire jouit, ainsi que son auteur, d’une grande réputation en Angleterre, et la mérite. M. Robertson passe pour un des meilleurs écrivains de ce siècle ; et les Anglais ne nous pardonnent pas la grande célébrité dont jouit en France M. David Hume, qu’ils mettent bien au-dessous de M. Robertson. Quoi qu’il en soit, il y aurait un parallèle plus intéressant à faire en comparant M. Robertson à M. de Voltaire et à M. de Montesquieu. S’il était obligé de leur céder la palme, quant à la rapidité et au brillant de la manière, il aurait bien, je crois, sa revanche du côté de la solidité, de la justesse et de la profondeur du coup d’œil. Ses développements sont le fruit d’une extrême sagacité, dirigée par un esprit plein de sagesse et de lumière, et par un bon sens exquis. Cet ouvrage est important, et il serait à désirer que l’auteur voulût le continuer jusqu’à nos jours. Nous en devons la traduction à M. Suard, qui a déjà traduit, je crois, ce que M. Robertson a écrit sur l’Histoire d’Écosse sa patrie[1]. Il a traduit l’Histoire de Charles-Quint de l’aveu, et pour ainsi dire de concert avec l’auteur, qui lui envoyait les feuilles de Londres, à mesure qu’elles sortaient de

  1. Grimm est ici dans l’erreur. La traduction anonyme de l’Histoire d’Écosse sous les règnes de Marie Stuart et de Jacques VI n’était point de Suard, mais de V. Besset de La Chapelle, revue par Morellet, Londres, 1764, 3 vol.  in-12.