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d’Orléans, à Villers-Cotterets, pour y exercer la médecine. Ce médecin vient de publier un gros in-4°, intitulé Yu le Grand et Confucius, histoire chinoise[1]. On ne peut soupçonner personne en France d’avoir lu cette histoire narcotique, que l’auteur a dédiée au grand-duc de Russie. S’il est, en médecine, aussi loin du sage docteur Sanchez qu’en politique morale de l’illustre Fénelon, je le plains. Son histoire chinoise, ou plutôt son roman politique, est un ramas de lieux communs insipides, enrichis de toute l’assommante doctrine de nos économistes ruraux ; c’est, en pharmacie, le spécifique le plus actif que je connaisse pour procurer de l’ennui, et je suis persuadé qu’il passera en proverbe de dire « Dieu vous garde d’Yu le Grand et de Confucius-Clerc ! » Le Confucius de Villers-Cotterets ne nous dégoûtera sûrement pas du Confucius de Cambrai, à qui nous devons le Télémaque.

— Il ne nous en coûtera pas davantage pour nous défaire aussi d’un autre moraliste politique, et l’envoyer tenir compagnie à M. Clerc, à Villers-Cotterets. Ce moraliste, dont j’ignore le nom, vient de publier un gros volume de près de cinq cents pages in-8°, intitulé Idées singulières. Tome second. Le Mimographe, ou idées d’une honnête femme pour la réformation du théâtre national, par l’auteur du Pornographe. L’auteur du Pornographe[2] a publié, dans le cours de l’année dernière, comme tome premier de ses Idées singulières, un projet tendant à intéresser la police à l’établissement de plusieurs couvents de vierges, dont la santé serait un objet de soins perpétuels pour les administrateurs, et dont la vocation serait d’ailleurs de se consacrer au plaisir du public, moyennant une taxe modique et fixée. À la bonne heure ! on entend cela, voilà qui est d’un citoyen ; mais, pour avoir eu une bonne idée dans sa vie, on n’a pas le droit d’ennuyer ses compatriotes tous les six mois avec des visions qui n’ont rien de piquant et rien de singulier qu’un style barbare, et dont la barbarie, qui pis est, est affectée. On aurait inventé tout un dictionnaire de mots comme dramatisme, comédisme, et une foule d’autres que l’auteur emploie exprès pour donner à ses idées l’air

  1. Voir précédemment, tome VIII, p. 340.
  2. Le Pornographe, ou Idées d’un honnête homme sur un projet de règlement pour les prostituées ; Londres, Nourse, 1769, in-8°. L’auteur de ces deux ouvrages est Rétif de La Bretonne.