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au patriarche les bontés de Son Altesse Royale, auxquelles il répondit par les vers suivants, qui ne sont pas ce qui lui est échappé de mieux depuis quelque temps :


On dit que je tombe en jeunesse[1] :
Tâchez de me bien élever.
Ne pourriez-vous pas me trouver
Quelque accès près de son altesse ?
De vieux héros, de vieux savants,
Prendront de ses leçons peut-être.
Je veux m’instruire : il en est temps ;
C’est à moi de chercher mon maître.

Le pèlerinage de Ferney n’ayant pu avoir lieu, le nouveau roi de Suède n’a pas voulu quitter Paris sans voir dans l’atelier de M. Pigalle le modèle de la statue qu’on se propose d’ériger au grand saint de Ferney. Ce modèle, sans être achevé, est assez avancé pour donner une idée de ce que sera le marbre ; mais on prétend qu’il n’a pas fait la conquête du roi de Suède, que Sa Majesté a dit que si elle avait à souscrire, ce serait pour lui acheter un habit et pour couvrir sa nudité. Il est certain que cette nudité éprouve de grandes contradictions, et qu’elle ne paraît pas s’arranger avec les convenances. Un poëte, un historien, un philosophe ne doit être nu que lorsqu’il entre dans le bain, et ce n’est pas le moment de le peindre, à moins que ce philosophe ne s’appelle Sénèque, et que ce bain ne soit son dernier. Mais que voulez-vous ? Pigalle ne sait pas draper, et il ne se soucie pas de faire ce qu’il ne sait pas supérieurement. Après avoir cherché la tête du patriarche à Ferney, il a pris ici un vieux soldat sur lequel il a modelé sa statue avec une vérité surprenante, mais qui paraît hideuse à la plupart de nos juges leur délicatesse, qui est vraiment nationale, est blessée de tout ce qui est trop prononcé, en quelque genre que ce soit. Je trouve beaucoup de chaleur et d’enthousiasme dans le modèle de M. Pigalle. Donnez à cette figure la forme colossale ; à la place d’une plume, mettez-lui le foudre de Jupiter ou le

  1. Mot de Mme d’Épinay, qui écrivit à M. de Voltaire vous tombez en jeunesse, comme on dit vous tombez en enfance. (Grimm.) Ces vers ne se trouvent pas dans les Œuvres de Voltaire. Nous sommes peu porté à croire qu’ils soient effectivement de lui. (T.)