Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/287

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de se former une idée de la structure et de l’économie du corps humain, et d’acquérir des notions anatomiques sans s’exposer au dégoût souvent invincible de voir opérer et démontrer sur des cadavres. Mlle Biheron a dans ses idées beaucoup de netteté, et fait des démonstrations avec autant de clarté que de précision. Je sais bon gré à l’Académie des sciences d’avoir songé à procurer au roi de Suède un spectacle si intéressant, quoiqu’elle n’ait d’ailleurs aucun droit sur les cadavres artificiels de notre anatomiste femelle.

— Après avoir entendu, dans un cercle assez nombreux, la lecture du discours prononcé par M. d’Alembert devant le roi de Suède [1], je sortis sans vouloir attendre le jugement qu’en porterait l’assemblée. Un ancien avocat qui avait de la réputation au Palais et même dans le monde me suivit : « Qu’est-ce que tout cela signifie, me dit-il ; qu’est-ce que c’est que le sage ? qu’est-ce que c’est que la philosophie ? » J’allais lui entamer un grand discours, lorsque me rappelant que Jésus-Christ, à une question à peu près pareille, n’opposa que son silence, et que ce silence a été depuis imputé à sagesse ; je me tus et souhaitai le bonsoir à mon avocat qui, pour savoir affaiblir un mot à force d’épithètes qui composent le corps de réserve des rhéteurs, ne laisse pas de se regarder comme un petit Démosthène. Je m’en revins chez moi, et je me couchai fort content de m’être comporté comme un petit Jésus-Christ.

À peine endormi, je me trouvai transporté en rêve dans la place des Trois-Maries, rendez-vous général des charlatans qui abondent à Paris de tous les pays du monde, école amusante à la fois et instructive, puisqu’elle vous permet d’embrasser du même coup d’œil la friponnerie des uns, la sottise et la duperie des autres. Je m’approchai d’un tréteau sur lequel il y avait un homme parlant avec beaucoup de confiance, et ayant dans sa main un violon qu’il tenait en l’air et qu’il montrait à ses auditeurs par tous les côtés. Il s’étendit avec un grand flux de paroles sur l’excellence de cet instrument, le roi des instruments ; il nous vanta beaucoup tous ceux qui en avaient joué dans les temps passés et de nos jours ; il dit qu’après les rois,

  1. Ce discours n’a pas été recueilli dans les Œuvres de d’Alembert. Paris, Belin et Bossange, 1821, 5 vol.  in-8°.