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expériences de l’électricité, l’abbé Nollet fut un homme très à la mode, et toutes les femmes voulurent être électrisées par lui ; mais cela a passé de mode, ainsi que la manie de la géométrie, et depuis longues années Comus avait entièrement fait oublier le pauvre abbé Nollet.

— La mort vient de nous enlever aussi deux vierges émérites de l’Académie de musique, vulgairement dite Opéra. Elles étaient mortes au théâtre depuis longtemps, et leur honorable vieillesse se soutenait des fruits des travaux de leur jeunesse. Les noms de Camargo et de Carton seront éternellement célèbres dans les fastes de l’Opéra. Mlle Camargo, sœur de Cupis, violon, connue dans les coulisses par mille aventures brillantes, s’est immortalisée au théâtre comme fondatrice de cette danse à cabrioles que Mlle Allard a portée de nos jours à ce haut point de perfection et de gloire. C’est Camargo qui osa la première faire raccourcir ses jupons, et cette invention utile, qui met les amateurs en état de juger avec connaissance des jambes des danseuses, a été depuis généralement adoptée ; mais alors elle pensa occasionner un schisme très-dangereux. Les jansénistes du parterre criaient à l’hérésie et au scandale, et ne voulaient pas souffrir les jupes raccourcies ; les molinistes, au contraire, soutenaient que cette innovation nous rapprochait de l’esprit de la primitive Église, qui répugnait à voir des pirouettes et des gargouillades embarrassées par la longueur des cotillons. La Sorbonne de l’Opéra fut longtemps en peine d’établir la saine doctrine sur ce point de discipline qui partageait les fidèles. Enfin le Saint-Esprit lui suggéra, dans cette occasion difficile, un tempérament qui mit tout le monde d’accord : elle se décida pour les jupes raccourcies ; mais elle déclara en même temps, article de foi, qu’aucune danseuse ne pourrait paraître au théâtre sans caleçon. Cette décision est devenue depuis un point de discipline fondamental, dans l’église orthodoxe, par l’acceptation générale de toutes les puissances de l’Opéra, et de tous les fidèles qui fréquentent ces lieux saints. J’ai eu le bonheur, en arrivant en France, de trouver Camargo encore au théâtre ; mais elle était dans son automne, et touchait même à son hiver. Elle a vécu depuis dans une paisible et honorable retraite, avec une demi-douzaine de chiens, et un ami qui lui était resté de ses mille et un amants, et à qui elle a légué ses chiens. Il lui a fait