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de méthode dans toute sa vie : voilà à peu près les éléments qui constituaient le caractère de M. de Mairan. Méthodique en tout, il avait dans l’esprit une sorte de pédanterie qui n’était pas fastidieuse, et une espèce d’égoïsme qui n’avait rien de choquant, parce qu’il était masqué par beaucoup d’égards, de politesse et d’usage du monde. Quoique, depuis le commencement de ce siècle, il n’eût bougé de Paris, il avait conservé son accent gascon, comme s’il ne faisait que débarquer du coche de Béziers, et ce petit accent ne nuisait point à la grâce de ses expressions. L’Académie des sciences perd en lui le dernier sectateur de Descartes, dont la physique chimérique a été entièrement détruite par la physique lumineuse et sage de Newton. Le parti cartésien était trop affaibli dans l’Académie, et M. de Mairan était trop sage pour vouloir défendre les rêves de ce philosophe célèbre en physique ; il se bornait à soutenir que Descartes était une des plus grandes et des plus fortes têtes de son siècle, et sur ce point il ne trouvait pas de contradicteurs. Il y a trente et quelques années que Maupertuis, soutenu de toute la cohorte des jeunes académiciens d’alors, établit la philosophie newtonienne à l’Académie des sciences, et culbuta celle de Descartes, qui avait régné jusqu’à ce moment. M. de Voltaire contribua aussi à la révolution par ses Lettres Anglaises et par ses principes de la philosophie newtonienne ; M. de Mairan se trouva alors embarqué dans une discussion philosophique avec Mme la marquise du Châtelet sur les forces vives et mortes, et peu s’en fallut que le sage académicien ne se laissât engager tout de bon dans un combat en forme, lorsque Mme Geoffrin lui dit : « Ne voyez-vous pas qu’on se moquera de vous si vous tirez votre épée contre un éventail ? » Cette réflexion arrêta tout court notre chevalier de Béziers, et la dispute se passa en politesses et en galanteries.

M. de Mairan est mort comme il a vécu, avec tranquillité et sagesse. Mme Geoffrin, à sa prière, l’assista dans ses derniers moments, lui fit recevoir les sacrements, et présida à tout. Lorsqu’il se vit débarrassé des prêtres, il la remercia beaucoup de lui avoir fait remplir ces devoirs auxquels il croyait que la décence et la nécessité obligeaient un citoyen à l’instant du départ, mais auxquels il convenait qu’il aurait été fort embarrassé de satisfaire seul, ne s’étant de sa vie piqué de confession ni de communion. Il a institué Mme Geoffrin sa légataire universelle. Lors-