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Après le repas, il fut proposé d’ériger une statue à M. de Voltaire, et cette résolution passa unanimement à l’affirmative. M. Pigalle, vers lequel M. l’abbé Raynal avait été député plusieurs jours auparavant pour le prier de se charger de l’exécution, et qui avait accepté cette proposition avec la plus grande joie, produisit l’ébauche d’une première pensée modelée en terre, qui fut généralement admirée. Le prince de la littérature y est assis sur une draperie qui lui descend de l’épaule gauche par le dos, et enveloppe tout son corps par derrière. Il a la tête couronnée de lauriers, la poitrine, la cuisse, la jambe et le bras droits nus. Il tient de la main droite, dont le bras est pendant, une plume. Le bras gauche est appuyé sur la cuisse gauche. Toute la position est de génie. Il y a dans la tête un feu, un caractère sublime ; et si l’artiste réussit à faire passer ce caractère dans le marbre, cette statue l’immortalisera plus que tous ses précédents ouvrages#1.

Après avoir rendu justice à cette belle ébauche, on résolut, à la pluralité des voix, qu’on mettrait pour inscription sur le piédestal de cette statue : À Voltaire vivant, par les gens de lettres ses compatriotes. En conséquence de cette inscription on proposa d’arrêter que, pour être en droit de concourir à cette souscription, il fallait être homme de lettres, et que pour donner une signification précise au terme d’homme de lettres, on regarderait comme tel tout homme qui aurait fait imprimer quelque chose. Cette proposition occasionna de longs débats, et fut enfin rejetée à la pluralité de onze voix contre six. M. d’Alembert proposa ensuite de faire part au public de l’inscription convenue, et d’arrêter que toute personne qui à ce titre se présenterait pour souscrire serait reçue. Cette proposition passa à la pluralité de douze voix contre cinq. On arrêta aussi unanimement que la liste des souscrivants ne serait jamais publiée, et qu’on ne serait pas reçu à souscrire pour moins de deux louis. M. Pigalle promit de partir immédiatement après les fêtes du mariage de M. le Dauphin, pour se rendre à Ferney, afin de faire le portrait de M. de Voltaire, s’engageant au surplus d’achever ce monument dans l’espace de deux ans. Si je m’étais senti l’éloquence de milord Chatham, je n’aurais pas manqué d’observer à cette [1]

  1. Cette statue est aujourd’hui placée dans la Bibliothèque de l’Institut.