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qu’on peut fort bien atteler avec l’ancien avocat Moreau, malgré sa platitude bourgeoise, est en usage de gratifier le public, tous les ans, vers le nouvel an, de quelque production ingénieuse et satirique. Il a la bravoure de M. Moreau et la sagesse des serpents, c’est-à-dire que ses traits ne tombent que sur des personnes qu’on peut attaquer sans autre danger que celui du mépris qui retombe sur l’assaillant ; mais comme le mépris est la nourriture ordinaire d’un Marchand, son estomac s’en trouve à merveille. Il y a cependant telle maison dans le Marais où Marchand passe pour le plus ingénieux écrivain du siècle, et où ses plaisanteries ont un sel qui n’a jamais pu se transporter au delà des bornes de la rue Saint-Martin. Ainsi une plaisanterie qui a le plus grand succès dans les rues Portefoin et Transnonain reste absolument ignorée dans le quartier du Palais-Royal et dans le faubourg Saint-Germain. C’est ce qui est arrivé cet hiver au Testament politique de M. de Voltaire, fabriqué par Marchand, pour l’amusement des soupers du Marais. Je crois que la première esquisse de ce Testament a déjà paru il y a quelques années[1], et que le malin Marchand en donne seulement ici une édition plus complète, dans laquelle il y a une foule de lettres initiales dont tout le monde saurait remplir les noms sans difficulté, si l’on pouvait lire cette rapsodie sans dégoût.

— Il a paru sur la fin de l’année dernière un gros volume d’Observations critiques sur la nouvelle traduction en vers français des Georgiques de Virgile et sur les poëmes des Saisons, de la Déclamation et de la Peinture, par M. Clément, suivies de quelques réflexions sur le poëme de Psyché[2]. Ce M. Clément est un jeune homme de Dijon, où il a déjà fait le métier de professeur ; car en France rien n’est si commun que des professeurs de vingt ans. Dégoûté de cet état, M. Clément est venu à Paris faire le métier de chamailleur, et, pour débuter avec éclat, il se prend corps à corps avec quatre ou cinq poëtes à la fois. M. l’abbé Delille, M. de Saint-Lambert, M. Dorat, M. Watelet, M. Lemierre sont également maltraités par M. Clément. Si son

  1. La première édition du Testament politique de Voltaire, par l’avocat Marchand, parut en effet en 1762. (B.) Voir tome V, p. 51 et note.
  2. Les Réflexions sur le poème de Pysché sont de Meusnier de Querlon. C’est Clément lui-même qui me l’a dit. (B.)