Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/250

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de son règne, paraissait devoir succomber, et trouva dans son courage, et surtout dans l’amour de ses peuples, les moyens de résister à tous les efforts de ses ennemis, et de conserver la succession entière de son père, dont tout semblait menacer le démembrement ? Tu aurais été ainsi à la fois courtisan et vrai ; mais quand les âmes viles ne mentent point, elles ne sont qu’à moitié satisfaites…

Je ne sais pourquoi je me fâche, et encore contre M. Moreau que je n’ai jamais vu, que je n’estime pas, et qui devrait par conséquent m’être bien indifférent ; ou plutôt je sais fort bien pourquoi je suis en colère. C’est que je ne puis pas souffrir que des matières d’une telle utilité, d’une si grande importance, soient traitées par des empoisonneurs qui affectent encore un air de sagesse et même de franchise courageuse, tandis qu’en faux braves ils n’attaquent que ce qu’il n’est pas dangereux d’attaquer. Ce qui me fâche encore, c’est de voir gâter un sujet qui entre les mains d’un honnête homme et d’un homme éloquent était beau, intéressant et touchant à traiter. Les princes sont bien à plaindre si l’accès de leur cœur est toujours fermé à la vérité depuis leur enfance, et si leur âme ne peut être remuée et exercée ni par la force propre aux événements, ni par les discours d’un honnête homme. Du moins, si leur jeunesse était confiée à des citoyens vertueux, pourraient-ils contracter l’heureuse habitude de reconnaître la vérité à l’auguste simplicité de son caractère et de la distinguer dans le cours de leur vie du mensonge et de la flatterie. M. Moreau a fini sa brochure par une notice qu’il appelle un triage des meilleurs livres français dont on puisse composer une bibliothèque historique. Il a ramassé dans son noble triage ce que nous avons de plat et de mauvais à côté de ce que nous avons de bon ou de passable. Il place M. de Voltaire entre l’abbé Coyer et l’abbé Aubert, et il n’ose citer du premier homme de la nation que l’Histoire de Charles XII, et il fait un verbiage à ce sujet qui signifie en dernière analyse que si M. de Voltaire avait pu se résoudre à être plat, hypocrite et nul, il aurait pu devenir le premier historien de son siècle. Je vous demande pardon ; il n’aurait été qu’un Moreau, et un Moreau de plus ne marque pas dans un royaume abondant et immense comme la France.

— L’avocat Marchand, vieux et mauvais plaisant hargneux,