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— L’avocat Moreau qui, d’ancien avocat des finances qu’il était sous la puissante administration de M. de L’Averdy, est devenu depuis quelques mois bibliothécaire de madame la dauphine, ne veut pas être bibliothécaire en herbe ; il veut verbiager si Dieu lui prête vie. Il vient de publier une brochure d’environ cent quatre-vingts pages in-8o intitulée Bibliothèque de madame la Dauphine, No I, Histoire[1]. Cela promet une suite où les autres sciences et les belles-lettres auront leur tour sans doute. Moreau ne veut pas seulement être le bibliothécaire de madame la dauphine, il veut encore être son docteur et son instituteur. En conséquence il traite dans sa brochure, pour l’instruction de cette princesse, trois points, savoir : l’Objet moral de l’étude de l’histoire ; la Carte générale des empires dont l’histoire offre la succession ; Plan de lectures, et suite des livres français qui peuvent nous instruire de l’histoire. Le premier de ces points demande un philosophe éloquent et pénétré de l’importance de son sujet, surtout pour une jeune princesse, l’espoir d’un grand royaume. Le second demande la plume rapide d’un écrivain plein de feu et de sens, pour tracer l’esquisse de tant de tableaux divers, d’une manière également heureuse et frappante. Le dernier exige une critique éclairée et sage, qui indique moins les livres médiocres ou mauvais que nous avons, que les bons qui nous manquent et qui restent à faire. M. Moreau n’est rien de tout cela ; il n’est sur les trois points qu’un bavard, qu’un phrasier d’autant moins estimable qu’on voit à chaque page qu’il écrit contre sa pensée. Il n’y a pas dans toute sa brochure un mot qui s’adresse à l’âme d’une jeune princesse ; et où le prendrait-il ? Dans la sienne ? Est-ce qu’un courtisan en peut avoir une ? Il parle à madame la dauphine de l’origine de la liberté des Suisses, et il évite avec soin de nommer la maison d’Autriche à cette occasion, de peur apparemment d’offenser madame la dauphine en lui apprenant que ses ancêtres ont perdu ces provinces il y a quatre siècles. Si tu voulais absolument faire le courtisan, ne pouvais-tu pas tracer le parallèle entre cet Albert qui, se fiant à ses mauvais conseillers, perdit la Suisse, et cette mère auguste de notre jeune dauphine, qui, attaquée de toutes parts au commencement

  1. Un très-beau frontispice dessiné et gravé par Eisen.