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dans le tact, à moins que la nature n’ait remédié à ce défaut, comme dans feu Mlle Gaussin, par tant de grâces, tant d’agréments séduisants et divers, que l’éducation se trouve remplacée et prévenue en tout. La sœur de Mme de Gléon, Mlle de Savalette, joue les rôles de soubrette d’une manière si spirituelle, son petit accent gascon lui donne tant de piquant qu’on ne se souvient pas d’avoir vu jouer la comédie avec cette supériorité depuis la retraite de Mlle Dangeville. Aussi longtemps que la profession de comédien ne pourra être exercée que par des gens sans mœurs et sans éducation, et qu’une créature, qui ne sait faire chez elle que la fille de mauvaise vie, sera chargée de représenter en public le rôle ou d’une femme honnête ou d’une femme du monde, avec le maintien, le ton, la facilité et la noblesse de manières que donnent l’éducation et l’usage et l’habitude de la bonne compagnie, vous pouvez être sûr que la vraie comédie, celle qui n’est pas farce ou charge, en un mot le miroir fidèle de nos mœurs, ne sera pas bien jouée sur nos théâtres publics.

— Les Comédiens français, n’ayant pas été heureux en pièces nouvelles ont cherché à y suppléer par le début d’un acteur nouveau qui a paru sur leur théâtre pour la première fois le 3 décembre dernier dans les grands rôles tragiques, et qui a joué jusqu’à présent sans discontinuer. Nous l’avons vu dans Alzire, Œdipe, le Comte d’Essex, les deux Iphigénies, remplir les principaux rôles, et il doit essayer cette semaine celui d’Orosmane dans la tragédie de Zaïre. M. Larive[1], c’est son nom, n’a, à ce qu’on prétend, que vingt-deux ans ; il a l’air plus âgé au théâtre. C’est un élève de Mlle Clairon, qui lui disait avec un ton de Melpomène, en le faisant répéter en présence d’une grande dame, et le voyant fort décontenancé : « Allons, monsieur Larive, votre extérieur est fort beau ; montrez à madame la duchesse que votre intérieur ne cède en rien à votre extérieur. » Mais il ne fallait parler au public ni de l’extérieur ni de l’intérieur de M. Larive il fallait qu’il tombât un jour des nues habillé en Zamore tout au beau milieu du théâtre des Tuileries, et son succès eût été plus brillant. Je n’ai jamais vu les ouvrages et les personnages annoncés réussir ; malgré cela on a toujours la

  1. Jean Mauduit, dit de Larive, était né à la Rochelle le 6 août 1747. Il est mort à Montlignon (vallée de Montmorency), le 30 avril 1827.