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retirée du service à cause de la multiplicité de ses services et de son âge, il a imaginé d’augmenter cette ferme d’une souscription de trois autres livres pour un Nécrologe des hommes célèbres de France, dans lequel il fait l’éloge et donne les particularités de la vie de ceux qui sont morts dans l’année. On a dit de ce recueil qu’il renfermait plutôt la satire des vivants que l’éloge des morts ; mais c’est du poison perdu, parce que personne ne lit cette rapsodie. Palissot n’a qu’une seule drogue malfaisante qu’il cherche à nous revendre tous les ans ; il y a beau temps qu’on n’en veut plus : le public est aussi friand en fait de méchancetés qu’en autres mets ; il lui faut du nouveau, sans quoi il laisse l’empoisonneur dans la rue. Ajoutez que celui du Nécrologe est si décrié que personne ne se soucie de lui fournir des mémoires sur les morts qu’il veut célébrer ; ainsi, la plupart du temps, on ne trouve dans ses Éloges aucune particularité de leur vie, si ce n’est de petites anecdotes que personne n’ignore. Il m’a, par exemple, rappelé le mot du maréchal de Richelieu à Moncrif. Lorsque M. de Voltaire alla s’attacher au roi de Prusse, en 1750, Moncrif sollicita la place d’historiographe de France. Il en parla au maréchal, qui lui dit : Tu veux dire historiogriffe ; il rappelait à Moncrif, par cette plaisanterie, son Histoire des chats.

Les deux meilleurs éloges du Nécrologe de cette année sont ceux de Mlle Camargo et de Mlle de La Motte, ancienne actrice de la Comédie-Française. Celle-ci comptait au nombre de ses amis le grand Maurice de Saxe, maréchal de France. Elle était elle-même d’une famille fort honnête ; une faute de jeunesse irréparable la jeta dans la profession du théâtre ; mais elle fit oublier à sa famille, par des secours continus, ce premier écart et l’état que la nécessité l’avait obligée d’embrasser. Quant à Mlle Camargo, son nom de famille était Cuppi, et le cardinal de ce nom était son proche parent. C’est un amateur de la danse et un connaisseur qui a fourni les détails de son Éloge. Il m’en a appris plusieurs que j’ignorais : par exemple, Mlle Camargo ne faisait jamais la gargouillade que Mlle Allard fait aujourd’hui trois fois de suite avec tant de dextérité et que Mlle Lyonnois a sans doute établie parmi les danseuses ; Mlle Camargo ne la trouvait pas décente. Mais quand l’auteur prétend qu’elle dansait si parfaitement sous elle (expression de l’art, sans doute) qu’on ne