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mais comme ces titres sont rapportés dans tous les journaux, je prends le parti de les supprimer entièrement. Il n’y a pas une seule de ces compilations qui ne soit faite avec la dernière négligence, et cela est d’autant plus déplorable que plusieurs d’entre elles pourraient être véritablement utiles si elles étaient faites avec un peu de soin ; mais l’impudence avec laquelle de petits littérateurs obscurs et affamés osent présenter au public les rapsodies les plus informes est poussée à un excès qu’on a peine à s’imaginer. Et pourquoi y mettraient-ils des bornes, puisqu’ils sont à peu près sûrs de débiter leur mauvaise marchandise parmi cette foule de désœuvrés dont l’ignorance, l’oisiveté et l’opulence combinées, leur permettent toujours de prendre sans choix et sans discernement tout ce qu’on leur offrira ? L’abbé de La Porte trouve très-commode de gagner tous les ans 8 à 10,000 francs à ce beau métier, et se moque encore, par-dessus le marché, des dupes qui achètent ses rapsodies ; et il ne s’agit que de n’avoir ni honneur, ni sentiment, ni aucune sorte de mérite, pour envier son sort. Les autres barbouilleurs cherchent à donner un air de philosophie à leurs recueils de bévues et de sottises ; ainsi, dans le Manuel des artistes et des amateurs[1], qui vient de paraître, le compilateur, au lieu d’expliquer les emblèmes, allégories, devises, attributs, symboles employés dans les beaux-arts, aime mieux faire des déclamations sur l’abus de l’apothéose chez les Romains, et donner une suite d’énigmes en vers, enlevées au Mercure sans doute. L’objet de cette compilation était intéressant, comme vous voyez ; elle pouvait être l’ouvrage d’un homme de goût et instruit, et il faut qu’un aventurier, aussi ignorant qu’ignoré, s’en mêle.

Un autre fait un Dictionnaire historique des sièges et batailles mémorables de l’histoire ancienne et moderne[2] (car nous embrassons toujours un sujet dans sa plus vaste étendue) ; et tout cela, c’est pour réimprimer une foule de bons mots, de traits, de contes, d’anecdotes enlevés à d’autres compilations

  1. Paris, Costard, 1770, 4 vol.  in-12 ; par l’abbé de Petity.
  2. Ce Dictionnaire (1771, 3 vol.  in-8°), dont l’auteur est Lacroix, de Compiègne, ne mérite pas tout à fait d’être compris dans l’anathème lancé par Grimm contre les compilations. Celle-ci, car, malgré cela, c’en est une, a reparu en 1809 avec beaucoup d’augmentations par M. Viton ; elle forme 6 vol.  in-8°. (B.)