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source unique de toutes les vertus des individus de cette espèce.

Je ne suis pas aussi content du traducteur Amyot et de son éditeur de Guignes que de l’empereur Kien-Long. Leurs observations, tant sur le poëme que sur les différents alphabets, ne débrouillent rien, n’éclaircissent rien : c’est un fatras d’érudition chinoise qui n’est d’aucun secours pour l’intelligence du poëme, et qui, je crains, est aussi embrouillé dans leur tête que pour leurs lecteurs. Si M. de Guignes ne met pas plus de clarté dans la traduction et les commentaires de Chou-King, un des livres sacrés des Chinois qu’il nous annonce, il fera un médiocre présent aux curieux. Il faudra cependant s’en contenter, faute de choix ; il en est de M. de Guignes et de son P. Amyot, comme de l’orchestre de l’Opéra de Paris, qui, suivant l’observation de J.-J. Rousseau, est le meilleur parce qu’il n’y en a pas d’autre. Quand on a fait attention au génie des alphabets chinois, à leur extrême précision, en comparaison de notre manière d’écrire, on est bien tenté de croire que le P. Amyot ne nous a donné qu’une longue périphrase du poëme de l’empereur, et qu’il a partout substitué les idées et les tours français aux idées et aux tours chinois. Quoi qu’il en soit, à travers cette périphrase on entrevoit un fonds intéressant et poétique, et ce poëme, tel qu’il est, forme, avec le roman chinois que M. Eidous nous a indignement traduit il y a trois ans[1], un monument très-précieux de la littérature et des mœurs chinoises.

— Si le caractère de paternité qui règne dans le poëme de l’empereur Kien-Long vous ennuie, il sera aisé de vous remettre au courant des idées européennes par la lecture de la lettre que je vais transcrire ; vous y trouverez un esprit tout différent de celui qui se remarque dans le poëme de l’empereur de la Chine. Kien-Long n’aurait jamais imaginé qu’un de ses sujets pût former une demande légitime qui ne le regardât pas, et aucun Chinois ne se serait persuadé qu’il y va de son honneur de donner des coups de bâton à son souverain. Cette lettre a été écrite à M. Clerk, Écossais, qui a servi comme brigadier général dans les troupes britanniques envoyées au secours du Portugal pendant la dernière guerre. L’auteur de la lettre, autre officier anglais, a servi sous lui en qualité d’aide de camp, et est sans

  1. Voir tome VII, p. 116.