Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/189

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il a paru en 1764, avec approbation et privilège du roi, un livre intitulé Ariste, ou les Charmes de l’honnêteté, par M. Séguier de Saint-Brisson[1]. Le censeur, Rémond de Sainte-Albine, dit dans son approbation qu’il croit cet ouvrage d’autant plus digne de l’impression que l’auteur y présente la vertu sous les couleurs les plus propres à la rendre aimable. Entre ce titre et cette approbation du censeur, qui respirent tant les charmes et la douceur de la vertu, il serait curieux de placer un passage de l’ouvrage où l’auteur dit que s’il avait une femme, et qu’il la laissât courir les bals et les soupers de nuit et s’exposer à tous les charmes de la séduction, et que cette femme lui fit infidélité, il ne s’en plaindrait pas. Mais si, après avoir pris toutes les précautions convenables pour assurer ses bonnes mœurs, il prenait fantaisie à sa femme de l’outrager, il dit qu’il sait bien ce qu’il ferait. Et puis, pour ne pas vous laisser en doute, il vous conte qu’une Anglaise, se trouvant au lit de mort, conjura son mari de lui pardonner une faute dont elle était coupable, et lui avoua qu’elle lui avait fait infidélité. Le mari lui répond qu’il lui pardonne, mais qu’à son tour il a besoin de pardon : « C’est que m’étant, dit-il, aperçu de ce que vous venez de m’avouer, je vous ai empoisonnée, ce qui est la cause de votre mort. » N’est-il pas excellent de trouver cet exemple de douceur dans les Charmes de l’honnêteté, dont le censeur accorde surtout à l’auteur le talent de rendre la vertu aimable ? On croirait peut-être que M. Séguier de Saint-Brisson est un homme redoutable ; point du tout. La comtesse d’Estrades, si connue dans les anecdotes de notre temps, d’abord amie et complaisante de Mme de Pompadour, ensuite maîtresse du comte d’Argenson, bientôt exilée de la cour pour s’être brouillée avec la première, s’est trouvée au moins aussi persuadée que moi de la douceur réelle de M. Séguier de Saint-Brisson ; car, pour finir son roman, elle l’a épousé, et s’est par conséquent exposée de gaieté de cœur au risque du poison. Il est vrai qu’elle n’a pris ce parti qu’à cinquante ans passés, et qu’elle désespère sans doute d’être dans le cas de lui faire infidélité.

— Charles-Jean-François Hénault, président honoraire au

  1. Grimm en a rendu compte précédemment, tome VI, p. 200 ; et J.-J. Rouseau a adressé une lettre au sujet d’Ariste à son auteur, à la date de janvier 1765.