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d’en mettre deux nouvelles sur la scène, à Paris, durant ce voyage. J’ai eu l’honneur de vous parler des Importuns, ou le Nouveau Marié ; le 31 octobre dernier, ils ont donné la première représentation de l’Indienne, comédie en un acte mêlée d’ariettes, par M. Framery ; la musique est de Cifolelli, qui prend la qualité de maître de chant et de mandoline, mais qui est proprement, et de son métier, bouffon italien ou acteur chantant la basse dans l’opéra buffa.

Le sujet de l’Indienne, qu’il fallait appeler tout simplement la Petite Veuve du Malabar, pouvait fournir l’idée d’une pièce très-gaie et très-plaisante, si l’auteur avait eu quelque ressource dans l’esprit ; cette Indienne n’est autre chose qu’une petite veuve aussi qui vient de perdre son mari, et qui n’a nulle envie de se brûler avec lui. L’auteur suppose que les hommes se brûlent dans l’Inde sur les cendres de leurs femmes, comme les femmes sur les cendres de leurs maris : première absurdité. Il suppose que les prêtres surtout s’assujettissent plus que d’autres à cet usage cruel, parce qu’ils ont intérêt de le soutenir : seconde absurdité. Qui croira que dans aucun pays du monde les prêtres se soucient de prêcher d’exemple, surtout quand la façon en est si chère ? Il suppose encore que si c’est le grand prêtre lui-même qui se dévoue au bûcher après la mort de sa femme, et qu’il se trouve en même temps une veuve dans le cas de se brûler sur les cendres de son époux, ce grand prêtre est le maître de renoncer à la gloire du bûcher et de sauver la vie à la veuve en s’unissant à elle par un nouveau mariage. On pardonnerait aisément toutes ces suppositions absurdes si elles produisaient une pièce bien gaie, bien folle, bien franchement extravagante, et tout cela n’était pas bien difficile avec un peu de verve et de folie dans la tête ; mais le grand prêtre et la jeune veuve de M. Framery, ensemble leurs esclaves guèbres, sont de la plus belle insipidité et de la plus insigne platitude. Ils ont été complètement sifflés à la première représentation ; cependant, à la faveur de quelques airs de M. Cifolelli, la pièce a été jouée trois ou quatre fois. Je crois que ce Framery fait le Journal de musique, qui est une très-mauvaise rapsodie, et qui pourrait être intéressant pour ce pays-ci s’il était bien fait.

— Il faut que le cours des postes entre Pékin et Ferney soit