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crirai point l’ode sur le thé. Tout considéré, l’éloge de la ville de Moukden et cette ode sur le thé forment un monument assez curieux pour en lire la traduction tout entière. La lecture du poëme de l’empereur de la Chine ne vous fera pas, à la vérité, autant de plaisir que l’extrait du philosophe que vous venez de lire ; mais vous sentirez aisément que ce n’est ni la faute du poëme ni la vôtre : c’est un effet nécessaire de la distance des lieux et des mœurs, qui est si grande qu’elle oblige à tout moment le traducteur ou de laisser le mot chinois dans la poésie descriptive, faute de terme équivalent, ou de rendre par des périphrases les images exprimées dans une langue trop différente des idiomes de notre Europe. Climat, mœurs, usages, religion, histoire naturelle, histoire politique, tout cela est trop distant de nous pour qu’un lecteur européen ne soit souvent arrêté, embarrassé, ce qui affaiblit à chaque fois le charme de cette lecture ; mais on sent en même temps que ce charme subsiste dans toute sa force pour un lecteur chinois. Heureux les peuples qui sont gouvernés par de tels poëtes ! car quoiqu’il n’y ait rien de si commun que de bien dire et de mal faire, et que les souverains surtout doivent être jugés sur leurs faits et non sur leurs paroles, il est évident cependant qu’un prince élevé dans ces sentiments de paternité pour son peuple, qu’un prince qui regarde comme un devoir essentiel de se rappeler sans cesse ses vertueux ancêtres, ou qui emploie ses moments de loisir à en célébrer la mémoire, doit avoir quelque avantage sur un prince qui, se croyant placé sur son trône de droit divin, en vertu d’un passage de saint Paul, se persuade d’avoir rempli les devoirs les plus essentiels de la souveraineté en respectant les usurpations de l’Église appelées immunités, et en observant quelques pratiques religieuses qui n’ont aucun trait à la prospérité publique, au bonheur des peuples, à la gloire des empires. Remarquez, s’il vous plaît, qu’il n’y a dans le poëme de l’empereur de la Chine aucune trace de superstition, et qu’il est évident que partout où l’auteur parle du respect dû à la volonté du ciel et de la terre, il entend la soumission et la résignation du sage à la nécessité de l’ordre général : philosophie simple et sublime, vrai mobile de nos actions, véritable fondement de la morale, qui, avec l’adoption de l’espèce ou l’observation du pacte d’association consenti entre les êtres d’une même espèce, est la