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ou qu’elle renferme, c’est le sujet du Foutchouroung. Je commence par ce dernier. En voici les paroles :

Ici commence le Foutchouroung. Kien-Long chante son départ, son voyage, son arrivée, ses sacrifices, ses aïeux, leurs faits mémorables, leur vie, leurs mœurs, leurs festins, la ville qu’ils ont fondée, les édifices de Moukden, les campagnes qui l’environnent, la mer qui l’avoisine, les montagnes, les plaines, les forêts, les rivières, les plantes, les métaux, les pierres, les animaux, les poissons, les oiseaux ; et tous ces objets sont peints dans son poëme avec grandeur, sagesse, simplicité, chaleur et vérité. Aucun ouvrage ne montre ni plus de connaissance, ni plus de goût. Il y a de la verve, de la variété, un sentiment profond, de la gravité, un respect tendre pour la mémoire de ses ancêtres. Ce caractère de piété filiale est le caractère propre du poëme, et la preuve de l’influence des mœurs sur la poésie et sur les beaux-arts, soit pour les corrompre, soit pour les embellir.

Le voyage de Kien-Long et celui de Cheng-Tson, son aïeul, forment le Foukietchoun. Il part, il marche. Il pense en chemin aux cyprès touffus qui couvrent la sépulture de ses pères ; il aperçoit les chevaux sculptés en pierre au dehors des murailles ; il ne saurait contenir les mouvements dont son âme est agitée, Ses yeux gonflés soulagent son cœur par un torrent de larmes, qui mouillent le devant de sa robe. Il se dit : C’est donc aujourd’hui que je verrai Yao sur la muraille et Chun sur le bouillon ; c’est aujourd’hui que mon souffle se mêlera avec leur auguste vapeur. Il entre dans Moukden. Il visite les tombeaux : il revient. Il trouve le festin préparé. Les princes de son sang et les vieillards de la contrée sont assis à la même table. Il présente la coupe aux princes, ils boivent ; il la présente aux vieillards ; il leur verse du vin, et lorsqu’il voit leurs visages s’épanouir et prendre une couleur vermeille, transporté de joie, il s’écrie : « Les voilà, les bons, les vertueux sujets qui m’ont été laissés par mes aïeux ! Les bienfaits et la tendresse de leurs maîtres ont fait couler leurs jours dans l’abondance et la joie. Leurs jours ont été prolongés, afin que j’eusse la consolation de les voir, de les entendre et de leur parler. Puisse ce moment être toujours présent à ma pensée ! Puissé-je imiter mes aïeux ! Puisse mon exemple perpétuer la race de ces bons et