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ne sais quel changement de lettre, de sorte que mon salut dépend après tout d’une légère inattention à laquelle j’ose m’attendre de la part de toute dame généreuse.

Au reste, comme il n’est permis en aucun cas de négliger la juste défense de soi-même, je dirai pour ma justification que c’est une loi généralement reconnue à Paris qu’on peut tout dire et tout lire en présence des dames, pourvu qu’on avertisse d’avance, afin que chacun puisse prendre ses précautions et avoir du moins le mérite du consentement. Il est même reçu dans la bonne compagnie que l’expédient de gazer les choses libres est presque toujours de mauvais goût et dénote souvent dans l’orateur et dans l’auditeur une plus grande corruption que l’emploi du terme propre, et il me paraît hors de doute que le chevalier de Boufflers a moins besoin d’indulgence pour le mot de sa charade que pour la manière dont il l’a paraphrasée. S’il faut citer des exemples à l’appui de ces principes, je me souviens qu’un abbé gascon, fort à la mode, voulant faire un conte dans un cercle où il y avait beaucoup de grandes dames et ayant prévenu qu’il ne lui était pas possible de faire son conte sans y employer des termes excessivement libres, mais indispensables, il fut décidé par les dames à la pluralité des voix que l’abbé tournerait le dos à la compagnie, et s’adresserait à la tapisserie à laquelle il ferait son conte à haute et intelligible voix sans rien retrancher ni retenir. Il est vrai qu’il se sauva immédiatement après son conte, de peur d’être jeté par les fenêtres, et qu’il laissa l’assemblée dans un grand étonnement ; mais j’ai vu d’autres pieux prélats faire avec succès des contes assez croustilleux en présence de dames très-respectables. Sur la fin de la dernière guerre, lorsque la mode de donner des vaisseaux au roi avait gagné bon gré malgré tous les ordres de l’État, M. Pâris de Montmartel en offrit un, ou plutôt les fonds nécessaires à la construction, car il n’était question que d’argent dans cette marine créée sur le pavé de Paris, et l’on disait que le gouvernement, pour faire honneur à M. de Montmartel, avait ordonné de nommer son vaisseau le Citoyen. Le lendemain un mauvais plaisant, prêtre aussi, conte que le corps des demoiselles de l’Opéra s’était aussi assemblé et avait unanimement résolu de donner un vaisseau au roi et que ce vaisseau serait appelé le Concitoyen. Ce conte eut un succès étonnant et fut répété devant ce qu’il y avait de plus