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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

mais elle n’est pas encore d’accord sur les conditions qu’on lui propose pour la faire recevoir à la Comédie-Française. Elle ne veut aussi débuter en public que lorsque Le Kain sera de retour des eaux et qu’il pourra jouer avec elle. Je voudrais la voir dans le haut comique ; elle n’aurait pas besoin de forcer sa voix, et j’ai dans la tête qu’elle ferait en chambre et sur le théâtre une amoureuse fort intéressante.

M. Fabre, qui a fourni à M. Fenouillot de Falbaire le sujet de son drame de l’Honnête Criminel, a enfin obtenu sa grâce[1]. Il n’était sorti des galères que par un congé particulier de M. le duc de Choiseul, et il était par conséquent resté civilement mort ; on vient de lui rendre l’état de citoyen. Cela a passé au conseil d’État du roi le 24 du mois passé. L’auteur de la pièce peut se vanter d’avoir été l’instrument immédiat de cette justice tardive. Ma foi, à ce prix, je consentirais de faire tous les jours une mauvaise pièce.


15 mai 1768.

On a donné le 7 de ce mois, sur le théâtre de la Comédie-Française, la première représentation de Béverley, tragédie bourgeoise imitée de l’anglais, par M. Saurin, de l’Académie française. D’abord cette affiche me déplaît. Si Béverley est une tragédie, pourquoi est-elle bourgeoise ? S’agit-il ici des malheurs qui ne peuvent arriver qu’à des bourgeois ? ou bien ce qui est tragique pour des bourgeois est-il comique pour des princes ? Il fallait dire tout simplement tragédie, et laisser la mauvaise épithète de bourgeoise aux critiques bourgeois du coin, qui ont aussi inventé le terme de comédie larmoyante, et qui ont écrit sur l’une et sur l’autre de grandes pauvretés. En second lieu, pourquoi cette tragédie s’appelle-t-elle Béverley ? C’est du nom de son héros. Mais ce nom est celui d’un particulier, et n’est pas un nom historique. Si M. Saurin avait eu les torts et les malheurs d’un Béverley, on aurait donc affiché la première représentation de Saurin, tragédie bourgeoise ? Il fallait appeler cette pièce tout uniment le Joueur, tragédie, parce que c’est le Joueur, tragédie.

  1. Voir tome VII, page 48, et plus haut page 3.