Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 8.djvu/82

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
72
CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

ces rôles, de préférence à Mlle d’Épinay. Malgré tous les tempéraments qu’on a cherchés jusqu’à présent, on n’a pas encore réussi à terminer cette affaire délicate et importante, au gré des deux actrices, respectivement demanderesses et défenderesses.

Le directeur des spectacles de l’Impératrice de Russie a envoyé, en présent, de superbes fourrures à Mlle Clairon, à MM. Le Kain, Préville et Bellecour. Si ce dernier se rend la justice qu’il se doit, il ne peut manquer de croire qu’on s’est trompé d’adresse, et que, par mégarde, on a mis son nom à la place de celui de Molé. Remarquez que le même génie qui crée des lois à son empire, qui force ses voisins d’être tolérants et justes envers leurs égaux, qui peuple, police et gouverne ses vastes États avec tant de gloire, encourage et récompense les talents d’un bout de l’Europe à l’autre ; c’est l’âme de l’univers qui sait tout animer à la fois.

— On a donné, le 26 du mois dernier, sur le théâtre des Menus-Plaisirs du roi, rue Bergère, une représentation de la tragédie d’Andromaque, suivie de la Clochette, opéra-comique. On avait distribué près de huit cents billets, et la salle était remplie d’une société aussi brillante que choisie. C’était pour juger du talent de Mme Vestris[1], que messieurs les premiers gentilshommes de la chambre du roi avaient ordonné cette représentation. Cette actrice, âgée de vingt-deux ans au plus, arrive de Stuttgard ; elle s’appelait autrefois Mlle Dugazon, et elle est sœur cadette de cette Mlle Dugazon qui a débuté l’année dernière avec succès dans les rôles de soubrette, et qui a été reçue depuis à l’essai et à la pension. Celle dont il est question ici a épousé un frère du célèbre danseur Vestris ; ce frère était danseur au théâtre de Stuttgard, aussi médiocre que l’autre est excellent. La suspension des spectacles du duc de Wurtemberg en a fait refluer les débris à Paris. Mme Vestris, n’ayant jamais joué que sept ou huit fois dans le tragique, et Mlle Clairon, ainsi que plusieurs connaisseurs, lui trouvant les dispositions merveilleuses, on a voulu la voir sur un théâtre particulier avant de la faire débuter sur le théâtre public. Elle a joué le rôle d’Hermione dans la tragédie d’Andromaque ; les autres

  1. Françoise Rose Gourgaud, née à Marseille le 7 avril 1743, mariée à Angiolo-Marie-Gaspard Vestris ; morte à Paris, le 5 octobre 1803.