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MAI 1768.

fléchi que soit ce projet, je ne suis pas éloigné de croire qu’il est réellement entré dans la tête de l’illustre patriarche. Il y a déjà plus de deux ans qu’il se trouve abandonné de tous ses amis de Genève, et qu’il ne voit plus personne de cette ville dans sa retraite, pour avoir voulu très-mal à propos jouer un rôle dans les troubles, et pour avoir sacrifié ses amis véritables et essentiels au parti du peuple, sans autre vue que celle de faire l’homme d’État. Depuis ce temps, son habitation aux portes de Genève lui est devenue désagréable, et voilà peut-être la véritable raison de toute la révolution survenue à Ferney, raison secrète que peut-être il ignore encore, ou qu’il se cache à lui-même. L’année dernière, ses amis eurent déjà beaucoup de peine à l’empêcher de louer une maison sur les bords de la Saône, près de Lyon, et de se mettre ainsi dans le ressort du parlement de Paris, où sa véracité sur de certains objets lui a fait de puissants ennemis. Ses amis seraient encore bien moins tranquilles s’il obtenait la permission de venir fixer sa résidence à Paris : c’est l’endroit du monde où ils le croiraient le moins en sûreté ; mais si c’est là réellement son projet, et qu’il ait en tête de le faire réussir, adieu les pamphlets, les brochures, les facéties ; le rossignol ne chantera plus, une politique enfantine et inutile le condamnera au silence ; je dis inutile, parce qu’il n’obtiendra sûrement pas la permission de revenir à Paris, et que ses amis n’auront pas du moins l’inquiétude, trop juste, de l’y voir exposé à toutes sortes d’accidents. Je regarde sa brouillerie avec la république de Genève comme un des véritables malheurs de sa vie, et comme une des fautes les plus graves qu’il ait commises. Il trouvera difficilement sur toute la surface du globe une habitation aussi agréable, aussi avantageuse pour lui, aussi bien située à tous égards, que celle qu’il s’est choisie sur les bords du lac, et dont il s’est si bien trouvé depuis quinze ans.

M. Cramer, son libraire et son ami, a commencé à publier les premiers volumes de l’édition in-4° des Œuvres de M. de Voltaire, ornée d’images et de vignettes, et M. Panckoucke, libraire à Paris, a acheté cette édition de M. Cramer et la vend avec ou sans planches, au gré de l’acquéreur[1]. Il se passera

  1. 1 Frontispice, 7 portraits et 42 figures par Gravelot, gravés par Delaunay, Flipart,