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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

nople, à la suite de M. le chevalier de Vergennes, ambassadeur de France. À son retour à Paris, il y a deux ou trois ans, il a pris à tâche de décrier les Lettres de milady Montague, comme un recueil de mensonges qui ne peut donner que des idées fausses sur les mœurs et le gouvernement turcs. Il est depuis, je crois, retourné en Turquie, et s’est chargé d’une commission auprès du kan des Tartares. Les gazettes disent aujourd’hui qu’il se trouve parmi les confédérés de Podolie ; il fera bien de ne se pas laisser prendre par les Cosaques. M. Guys, dans sa lettre aussi solide que polie, prouve qu’on ne peut rien ajouter à la présomption, à la témérité, à la précipitation et à l’ignorance avec lesquelles M. de Tott a jugé les Lettres de milady Montague. M. Guys a longtemps vécu à Constantinople ; il a plus de jugement dans son petit doigt que M. de Tott dans tout son crâne. Ainsi, je m’en tiens au sentiment de M. Guys, et donne quittance à M. de Tott de l’ouvrage qu’il nous promet sur le gouvernement et les mœurs des Turcs.




MAI
1er mai 1768.

Parmi les différentes histoires qu’on a débitées ici, depuis deux mois, sur le compte de l’illustre patriarche de Ferney, il y en avait une presque prophétique et d’ailleurs très-merveilleuse. On disait que M. de Voltaire se promenant, après le départ de Mme Denis, solitairement aux environs de son château, avait rencontré un chartreux, et qu’après s’être entretenu avec lui fort longtemps, il avait quitté Ferney en secret, et s’était rendu à la grande chartreuse en Dauphiné pour y prendre l’habit de novice. C’était le second tome de la conversion de saint Paul, excepté que le Saul de Ferney n’était pas renversé de son cheval, parce qu’il était à pied, et que Jésus-Christ avait pris cette fois-ci l’habit de saint Bruno pour triompher d’un ennemi non moins redoutable que l’ancien Saul.

Ce conte ridicule eut l’air d’une prophétie, lorsqu’on ap-