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AVRIL 1768.

in-12 de deux cents pages. Milady Montague est cette fameuse ambassadrice d’Angleterre à Constantinople, qui, au retour de ses voyages, fit présent à sa patrie de l’inoculation de la petite vérole : bienfait qui, répandu aujourd’hui sur toute l’Europe, mériterait seul l’immortalité, si la grâce de son style et ses lettres pleines d’agrément, d’intérêt et de philosophie, n’assuraient à milady Montague une place distinguée parmi les écrivains de sa nation. Malgré la traduction maussade qu’on a faite ici de ses Lettres, il y a quelques années, elles ont eu le succès le plus grand et le mieux mérité. Il serait à désirer que le traducteur de cette troisième partie, qui est, je crois, M. Suard, eût traduit la totalité#1 ; il eût été capable de faire passer en français cette manière distinguée et pleine d’attraits qui caractérise les Lettres de milady Montague. Mais c’est une plaisanterie de nous avoir donné cette troisième partie comme une suite de ses Lettres. Elle n’en contient que six, dont le fond n’est pas même fort intéressant, quoique la matière le soit toujours. On dit que milord Bute possède des trésors immenses de la plume de cette femme célèbre, mais qu’il ne permettra jamais qu’ils deviennent publics. C’est nous faire un tort réel que de nous priver des productions d’une plume si séduisante ; cette avarice, quels qu’en soient les motifs, m’oblige de me ranger du parti de M. Jean Wilkes, que j’ai cependant assez connu pendant son séjour en France pour n’en pas faire un cas infini. L’éditeur de cette troisième partie, n’ayant pas de quoi la remplir par les Lettres, a traduit un discours de milady Montague sur cette maxime du duc de La Rochefoucauld : Il y a de bons mariages, mais il y en a peu de délicieux. Vous lirez ce discours avec plaisir ; mais il n’a pas le charme des Lettres ; milady y combat le sentiment de M. de La Rochefoucauld. Le reste de la brochure, et c’en est la moitié, consiste dans une Lettre à M. Bourlat de Montredon, par M. Guys, négociant de Marseille. Cette Lettre répond à une critique fort étendue des Lettres de milady Montague, envoyée au Journal encyclopédique par M. le baron de Tott. Ce jeune homme, malgré son nom allemand, s’est comporté en véritable petit-maître français. Il a passé plusieurs années à Constanti- [1]

  1. Les deux premières parties avaient été traduites par le P. Brunet, dominicain. (T.)