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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

aveuglé par ces plaques de fer-blanc, qui renvoient la lumière. Ces lanternes ont encore l’inconvénient d’être ballottées par le vent dans les temps d’orage, et par conséquent de s’éteindre quand elles seraient le plus nécessaires. Je n’insiste pas trop sur la grande distance des unes des autres dont j’ai déjà parlé, parce que ce n’est pas la faute des lanternes. C’est que, pour bien éclairer une ville, il faut y mettre l’argent nécessaire : aujourd’hui presque toutes les capitales de l’Europe sont parfaitement bien éclairées ; il n’y avait qu’à faire à Paris comme on fait dans les capitales. Des lanternes en forme de cylindre, à trois mèches sans réverbère, adossées contre les maisons, éclairent parfaitement, et n’ont aucun des inconvénients reprochés aux autres. J’en ai vu faire, pendant deux hivers, des essais très-satisfaisants dans la rue Neuve-Saint-Augustin, où est l’hôtel de la police ; mais sans doute des raisons d’économie ont forcé de donner la préférence aux autres. M. Patte, architecte du duc régnant des Deux-Ponts, a publié dans le temps des essais, si je m’en souviens bien, un Projet, tout à fait sensé, sur la manière la plus avantageuse d’éclairer une ville[1].

M. Gaignat, receveur général des consignations des requêtes du palais, vient de mourir sans sacrements, ayant toujours eu pour principe qu’il ne faut avoir affaire à son curé que quand on se porte bien. Il était âgé d’environ soixante-onze ans. Maître d’une grande fortune et ayant perdu fort jeune et sa femme et une fille âgée de douze ans qu’il aimait passionnément, on lui conseilla, pour tromper sa douleur, d’acheter et d’amasser des tableaux. Depuis ce temps-là, il s’est amusé en effet à former un cabinet de tableaux et un cabinet de livres, l’un et l’autre des plus précieux. On estime le premier au moins cent mille écus, et le second deux cent cinquante mille livres. M. Gaignat n’était ni un homme d’esprit ni un homme de goût, mais comme il n’achetait réellement que pour s’amuser, l’expérience lui tenait lieu d’un naturel plus heureux ; et son cabinet a cela de particulier sur tous les cabinets connus de Paris, que tout y est d’un choix exquis et que l’on n’y trouve rien de médiocre. Il a ordonné, par son testament, que la vente de ses tableaux et de ses livres se fit en détail, voulant, dit-il, procurer

  1. 1766, in-8°