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AVRIL 1768.

Qu’on sent combien il est utile,
Il propose un moyen facile
D’en hâter l’exécution
Par libre contribution.

Afin de promptement jouir,
Aussitôt chacun d’accourir :
Ici ce sont les locataires,
Là ce sont les propriétaires,
Qui, pour voir, la nuit en marchant,
Apportent de l’argent comptant.

Tout ainsi que les opulents
S’empressent, marchands, artisans,
Chacun se dispute la gloire
De ne plus avoir de rue noire.
Ce concours va rendre Paris
Clair la nuit comme à midi.

Il en est qui disent tant pis :
Aussi de Dieu sont-ils maudits.
Les unes pour certaine affaire[1],
Les autres enclins à méfaire[2],
Gagnaient tout par l’obscurité,
Perdront tout par cette clarté.

Mais en dépit d’eux on louera,
En prose, en vers, on chantera
L’illustre monsieur de Sartine,
Par qui la ville s’illumine,
Et le bonheur d’avoir un roi
Qui d’hommes sait faire un tel choix.

Je souscris de tout mon cœur à l’éloge de M. de Sartine, homme d’un rare mérite, qui exerce un ministère de rigueur et d’inquisition avec autant de douceur que de fermeté et de vigilance, et qui, sans cesse obligé par sa place de punir, s’est cependant concilié l’amour et l’estime de tous les ordres de citoyens. Mais je ne souscris pas également à l’éloge que l’on fait des nouvelles lanternes. Ces lampes sépulcrales à réverbères, suspendues au milieu des rues, éblouissent encore plus qu’elles n’éclairent. On ne peut y porter les yeux sans être

  1. Les raccrocheuses. (Grimm.)
  2. Les voleurs. (Id.)