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AVRIL 1768.

talent n’est ni assez décidé ni assez éminent pour lui en avoir attiré un si grand nombre. Ils ont profité de cette occasion pour faire insérer dans la Gazette d’Utrecht un précis historique qui n’était point du tout à l’avantage de M. de La Harpe. Il y a répondu dans la feuille de l’Avant-Coureur avec un ton de légèreté qui ne sied pas trop bien quand il s’agit de réfuter des calomnies qui attaquent la réputation. M. de Voltaire est venu incontinent à son secours par la déclaration suivante, insérée dans les papiers publics :

« J’ai appris, dans ma retraite, qu’on avait inséré dans la Gazette d’Utrecht, du 11 mars 1768, des calomnies contre M. de La Harpe, jeune homme plein de mérite, déjà célèbre par la tragédie de Warwick, et par plusieurs prix remportés à l’Académie française avec l’approbation du public. C’est sans doute ce mérite-là même qui lui attire les imputations envoyées de Paris contre lui à l’auteur de la Gazette d’Utrecht.

« On articule dans cette Gazette des procédés avec moi dans le séjour qu’il a fait à Ferney. La vérité m’oblige de déclarer que ces bruits sont sans aucun fondement, et que tout cet article est calomnieux d’un bout à l’autre ; il est triste qu’on cherche à transformer les nouvelles publiques et d’autres écrits plus sérieux en libelles diffamatoires. Chaque citoyen est intéressé à prévenir les suites d’un abus si funeste à la société.

« Fait au château de Ferney, pays de Gex en Bourgogne, ce 31 mars 1768.

« Signé :Voltaire. »

Cette déclaration est d’autant plus honnête et généreuse que M. de Voltaire n’a pas à se louer des procédés de M. de La Harpe : voici ce qui a donné lieu à leur brouillerie. M. de La Harpe, tout en arrivant à Paris l’automne dernier, répandit une épigramme contre M. Dorat, qu’il attribuait à M. de Voltaire. Cette épigramme eut un grand succès, et était assez bonne pour pouvoir être attribuée à cet homme illustre[1]. M. de Voltaire a toujours assuré et continue d’assurer qu’elle n’est point de lui, et l’on ne voit pas pourquoi il s’en défendrait tant, s’il en était l’auteur dans le fait, ce ne serait qu’un juste châtiment

  1. Voir tome VII, pages 471 et 500.