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MARS 1768.

et qu’elle l’avait secourue avec beaucoup de soins pendant sa maladie. Ainsi calmons-nous. Peut-être aussi ne serait-il pas aussi édifiant qu’on le croirait bien qu’une fille d’Opéra pût dépenser sans se gêner, en huit jours de temps, une somme de huit mille livres en bonnes œuvres. Ce qu’il y a de certain, c’est que j’ai toujours tendrement aimé Mlle Guimard, et qu’il faut qu’elle soit aimable, car elle a beaucoup d’amis, quoiqu’ils disent que son excessive maigreur la fait ressembler à une araignée. On dit qu’elle a le son de voix rauque et dur, et c’est un furieux tort à mes oreilles ; mais comme je ne l’ai jamais entendue parler, ce défaut n’a pu diminuer ma passion pour elle. Elle a joué ces jours passés, chez Mme la duchesse de Villeroy, le rôle de Victorine dans le Philosophe sans le savoir, avec beaucoup de succès à ce qu’on dit, au son de la voix près.

— Il était aisé de prévoir que le Mandement de M. l’archevêque de Paris, contre le livre de Bélisaire, s’attirerait quelque marque de reconnaissance de la manufacture de Ferney. On y a imprimé le pamphlet suivant, que je vais insérer ici parce qu’il n’y a pas eu moyen de se le procurer imprimé[1]. Le grand patriarche s’y est dépouillé de sa dignité prééminente, et, pour traiter d’égal à égal avec le premier pasteur de l’Église de Paris, il s’est contenté de prendre le titre d’archevêque. Si, en sa qualité d’anglican, il est un peu hérétique en fait de dogme et sur l’article de la hiérarchie, personne ne lui contestera la solidité de sa morale avec un grand usage du monde.

— Il nous est venu aussi de Ferney une Relation de la mort du chevalier de La Barre, par M. Cass., avocat au conseil du roi, à M. le marquis de Beccaria. C’est une feuille de vingt-quatre pages. On suppose qu’elle a été trouvée dans les papiers de M. Cassen, avocat au conseil, mort depuis quelques mois ; mais vous vous apercevrez aisément qu’elle a été écrite et publiée par l’avocat général du genre humain, résidant à Ferney. Cette feuille est datée du 15 juillet 1766, et le chevalier de La Barre fut décapité à Abbeville le 1er juillet de cette année, pour avoir passé à vingt-cinq pas de la procession du saint-sacrement sans avoir ôté son chapeau, et pour d’autres crimes de cette énormité. Cet assassinat juridique est sans contredit la plus horrible.

  1. Il s’agit de la Lettre de l’archevêque de Cantorbéry.