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MARS 1768.

révérend père est vif et entreprenant, il veut enlever sa retrouvée, et Euphémie a la faiblesse d’y consentir dans un malheureux entr’acte. Mais au moment de l’exécution, au milieu de la nuit, dans un caveau du couvent rempli de tombeaux et de pierres sépulcrales, sa conscience se réveille, son courage l’abandonne, l’amour et la religion se livrent de furieux combats. Euphémie oppose à son amant ce Dieu dont elle est depuis dix ans la chaste épouse. Le révérend père se moque de Dieu son rival, et l’amant allait faire l’époux cocu, comme il arrive quelquefois, sans un miracle qui sauve la vertu de l’épouse. Le souterrain de M. de Fontanelle se trouve aussi dans le cloître de M. d’Arnaud. Euphémie se laissait déjà entraîner dans ce souterrain pour gagner le pays, lorsque, marchant sur une des pierres sépulcrales, cette pierre s’enfonce ; Euphémie tombe dans la fosse jusqu’à la ceinture. Elle reconnaît le doigt de Dieu. Les religieuses accourent, la maman comtesse et servante aussi ; le révérend père amant prend le parti de se convertir, et Euphémie de pleurer, en mourant, ses égarements ; et voilà ce que c’est que le Triomphe de la religion. Peut-on voir un roman plus dépourvu de vraisemblance et de naturel, plus impertinent et plus ridicule ? La stérilité de l’auteur, le vide de sa tête et de son cœur, la froide emphase de sa diction, en rendent la lecture dégoûtante. Il tapisse toujours la scène de tombeaux, de crucifix, de têtes de morts. Je ne hais pas ces sombres images ; il est peu de jours où elles ne m’occupent et ne m’inspirent cette mélancolie douce qui succède très-bien à la gaieté et en est à son tour suivie ; mais je trouve que Mme la princesse de Beauvau avait raison, lorsque le drame du Comte de Comminges parut, de dire que M. d’Arnaud dégoûtait du caveau. Ne pouvant être pathétique et touchant, il croit qu’il suffit de se barbouiller de noir de la tête aux pieds. Je vais solliciter pour lui la place de tapissier d’enterrement à la paroisse de Saint-Roch ou de Saint-Eustache ; mais c’est à condition, parbleu ! qu’il n’écrira plus. Il nous annonce un roman qui contiendra la vie d’Euphémie, ses lettres, que sais-je ? Mais j’aimerais mieux me faire tout à l’heure moine comme le révérend père Théotime que d’en lire une ligne.

M. le duc de Randan, gouverneur de Franche-Comté, qui vient de prendre le nom de duc de Lorges, ayant été nommé