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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

sur son tableau pour une pension annuelle de deux mille livres ; il le raye d’un trait de plume pour lui apprendre à s’extasier sur les moralités d’un opéra-comique. L’infortuné amateur Marin sollicite naturellement le rétablissement de sa pension ; il espère l’obtenir par ses protections et par ses amis ; mais il est certain que cela n’est pas fait encore. Si cette manière de perdre ses pensions est jugée conforme à l’équité, M. Marin doit trouver qu’il n’y a rien de si cher en France que le goût des sentences.

M. d’Arnaud a exécuté le tableau de M. de Fontanelle en camaïeu noir comme du charbon. Il n’a pas cherché à déguiser le nom de nos religieuses sous celui des Vestales. Il n’a pas transformé nos cloîtres en temple de Vesta ; il a nommé chaque chose par son nom. Son drame, en trois actes et en vers comme celui d’Éricie, est intitulé Euphémie, ou le Triomphe de la religion. Euphémie est une fille de condition qui a été forcée de prendre le voile afin de rendre son frère d’autant plus riche. Elle avait cependant la plus vive passion pour Sinval, et elle en était éperdument aimée. Pour l’engager à quitter le monde, sa mère lui avait fait accroire que Sinval était mort, tandis qu’on persuadait d’un autre côté à Sinval que sa maîtresse était morte. Il y a dix ans qu’Euphémie a pris le voile lorsque la pièce commence, et elle est occupée de son amant comme le premier jour. Elle se trouve entre deux religieuses, dont l’une est indulgente et douce, l’autre pie-grièche et rigide. Il paraît que tout le couvent est dans la confidence de sa passion si malheureuse et si durable. On lui a promis une entrevue avec le P. Théotime, moine et directeur du couvent, qui doit la consoler. Cependant la mère d’Euphémie, qui s’appelle la comtesse d’Orcé, est chassée de sa maison par ce fils dénaturé auquel elle a sacrifié sa fille. Dénuée de tout secours, elle vient dans ce couvent se présenter pour être servante. Elle ne sait point que sa fille s’y trouve, et cette rencontre imprévue occasionne la reconnaissance la plus touchante du monde. Euphémie apprend ici que son amant n’est pas mort, mais on n’en n’ignore pas moins ce qu’il est devenu. Cette aventure n’est pas la plus extraordinaire de la pièce. Ce P. Théotime, ce consolateur si longtemps promis, je parie que vous devinez qu’il n’est autre que ce Sinval si adoré, qui s’est fait moine quand il a appris la prétendue mort de sa maîtresse. Jugez de la reconnaissance entre le directeur et la dirigée. Le