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MARS 1768.

bien étonné en pays étranger, où l’on ne peut apercevoir l’action des petits ressorts cachés, qu’une mauvaise esquisse de tragédie faite par un écolier devienne une affaire d’État, et mette en l’air toutes les têtes graves du royaume. Le résultat de toutes ces délibérations, c’est que la pièce ne sera pas jouée, et qu’il sera défendu à l’auteur de l’imprimer. L’auteur se moquera de cette défense, et fera paraître sa pièce clandestinement. Le public ne la lira point, et tout le monde sera content. Voilà ma prophétie après une lecture que j’ai entendu faire de ce drame par un ami de l’auteur.

En attendant qu’il soit imprimé, M. de Fontanelle a voulu se laver du reproche d’ignorance que ses amis lui avaient fait vraisemblablement. On m’a assuré du moins que l’Essai sur le feu sacré et sur les Vestales, qui vient de paraître en cent dix pages in-8°, était de lui. Nous devons au même auteur un roman en trois volumes, tout fraîchement publié et intitulé les Effets des passions, ou Mémoires de M. de Floricourt. Ces Mémoires sont remplis d’événements romanesques et sans vraisemblance. La fécondité de la plume de M. de Fontanelle pourrait devenir en peu de temps un fléau très-redoutable en littérature.

— Puisque nous avons eu occasion de parler de M. Marin, censeur de la police, il faut conserver ici une anecdote qui le regarde. Ce pauvre M. Marin aime apparemment les sentences et les moralités de M. Favart à la folie. Au lieu de mettre à son approbation des Moissonneurs la formule ordinaire : Je n’y ai rien trouvé qui puisse en empêcher l’impression, il s’avise de faire un grand et pompeux étalage en ces termes : Si l’on n’avait représenté sur nos théâtres que des pièces de ce genre, il ne se serait jamais élevé de question sur le danger des spectacles, et les moralistes les plus sévères auraient mis autant de zèle à recommander de les fréquenter qu’ils ont souvent déclamé avec chaleur pour détourner le public d’y assister. La pièce ne paraît pas sitôt avec ce magnifique passe-port que les jésuites font un bruit de diable. Le censeur amateur de moralités est obligé de supprimer son approbation, et d’y substituer la formule ordinaire. Malheureusement pour lui on présente en ce moment un tableau de diverses pensions à M. le contrôleur général, qui, en sa qualité de chrétien rigide, n’aime pas les spectacles ni les gens qui les approuvent. Ce ministre trouve M. Marin couché