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assez que, de l’aveu de la plupart des juges, il n’y a pas dans son procès la preuve d’un seul chef d’accusation ou délit qui entraîne la peine de mort : or, j’ignore comment la réunion de plusieurs chefs ou de plusieurs délits dont aucun, pris séparément, ne mérite la mort, a pu faire infliger la peine capitale à cause de leur réunion : cette jurisprudence est au-dessus de mon entendement. M. Pasquier l’entend ainsi apparemment. Il était le rapporteur de ce fameux procès ainsi que de quelques autres forts remarquables. S’il est vrai que, durant son instruction, il ait eu les prises les plus violentes avec l’accusé et qu’il lui ait dit plusieurs fois en colère : « Je vous ferai sauter la tête », je n’entends pas comment il a osé s’asseoir parmi les juges de ce malheureux pour lui tenir parole. Mais c’est que la conduite d’un homme supérieur comme Pasquier est en tout point au-dessus de l’entendement d’un homme vulgaire comme moi.

Ce serait, ce me semble, une loi bien sage et bien salutaire que celle qui ordonnerait la publicité des actes de tous les procès criminels, avec leurs charges et preuves, immédiatement après l’arrêt définitif. Le public verrait alors clair dans toutes les affaires car un procès, instruit de bonne foi à charge et à décharge, a des caractères de vérité auxquels il n’y a pas moyen de se méprendre ; et après la sûreté des rues et des grands chemins, il n’y a rien qui intéresse autant les citoyens que la justice invariable de la procédure criminelle. J’ose croire que cette publicité préviendrait bien des injustices ; mais nos grands hommes du Parlement disent que la publication de ces actes serait contraire à la raison d’État, qui veut que toute instruction criminelle reste secrète. Le secret est le grand manteau que les sots et les fripons se renvoient tour à tour ; il donne aux uns de l’importance, il assure aux autres l’impunité aussi ils ne s’en déferont qu’à leur corps défendant, et à la dernière extrémité. Tout est métaphysique, théologique, apocalyptique, dans nos institutions publiques et civiles, comme il convient à des peuples gothiques sortis du sein de la barbarie et de l’absurdité ; et, à moins que quelques grands génies n’opèrent une révolution favorable, il nous faudra encore des siècles pour nous défaire de cette crasse originale et malsaine.

— On donna le 13 mars dernier, sur le théâtre de la Comédie-