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pour un legs de cent mille écus, il lui vint un petit scrupule et qu’il déclara à son confesseur que, pour apaiser sa conscience, il ne rendrait pas celui-là. Il faut se passer entre fripons dévots de ces petits scrupules. Saint Billard, qui sera immortel dans l’histoire de France par les jeux de mots sublimes que son nom et sa banqueroute ont fait faire, jouissait d’une haute considération dans le parti dévot. Il approchait de la sainte table tous les trois ou quatre jours, et il avait le privilège d’être communié avec une hostie de prêtre. Un jour, Billard s’étant présenté à la sainte table quoiqu’il eût communié la surveille, et le prêtre qui célébrait la messe n’ayant que de petites hosties, il dit à saint Billard : « Vous me prenez au dépourvu, il faudra vous contenter de la fortune du pot[1]. » Le patriarche de Ferney a travaillé, il y a bien des années, à la réputation de l’abbé Grisel, en publiant sa Conversation avec un intendant des menus-plaisirs du roi[2] : c’était un excellent pamphlet. On prétend aussi que dans sa comédie non encore jouée ni imprimée, et intitulée le Dépôt, ou Ninon, une histoire arrivée à saint Grisel avec la famille de feu M. de Tourny, intendant de Bordeaux et grand mangeur de saints, a fourni la principale intrigue de la pièce. Le patriarche est si reconnaissant de tous les sujets d’édification que ce saint homme lui a fournis qu’il a mandé que si, par hasard, il devait être pendu, il ne manquerait pas de venir l’assister dans ses derniers moments, en sa qualité de capucin. Voltaire exhortant et assistant le confesseur de M. l’archevêque de Paris au moment de son exaltation, voilà un assez beau sujet de tableau pour le découpeur Huber !

— Le docteur Petit, si grossièrement attaqué en dernier lieu

  1. On lit dans une lettre de Mme du Deffand, des 21 et 22 février 1772 : « Je ne puis vous mander des nouvelles, si ce n’est l’exécution de la sentence rendue contre le fameux banqueroutier Billard ; il a été au pilori, à la Grève, une seule fois pendant deux heures, avec un écriteau : Banqueroutier frauduleux, commis infidèle. Il était en bas de soie, en habit noir, bien frisé, bien poudré. Quand le bourreau vint le chercher à la Conciergerie il voulut l’embrasser, l’appela son frère, le remercia de ce qu’il lui ouvrait la porte du ciel, bénit Dieu de cette humiliation, et récita des psaumes tout le temps qu’il fut au carcan. Il fut conduit après hors de Paris ; et comme sa sentence porte le bannissement, on ne doute pas qu’il n’aille à Rome auprès du général des jésuites ; et comme sa banqueroute est de cinq millions, il aura eu la précaution de faire passer des fonds dans les pays étrangers. Il aurait été juste de le condamner aux galères. » (Lettres de la marquise du Deffand, édition de Lescure, tome II, p. 219.)
  2. Cette Conversation est de 1761.