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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

en gêner l’exécution, on enterre et on n’a jamais cessé d’enterrer dans les églises de Paris, tout comme s’il n’avait jamais existé. Je vous assure que tout critique, tout académicien d’inscriptions et de belles-lettres à qui l’on soutiendrait dans deux mille ans qu’on a enterré dans les églises de Paris passé l’année 1765 de notre ère, hausserait les épaules et prendrait l’auteur d’une telle assertion pour un ignorant qui ne mérite pas d’être réfuté.


15 février 1768.

Il faut compter la congrégation des pauvres d’esprit et simples de cœur rassemblés dans la sacristie de M. le marquis de Mirabeau sous l’étendard du docteur François Quesnay, et sous le titre d’Économistes politiques et ruraux, au nombre de ces confréries religieuses qui forment leur domination dans l’obscurité, et qui ont déjà une foule de prosélytes lorsqu’on commence à s’apercevoir de leurs projets et de leurs entreprises. Le vieux Quesnay a toutes les qualités d’un chef de secte. Il a fait de sa doctrine un mélange de vérités communes et de visions obscures. Il écrit peu lui-même, et s’il écrit, ce n’est pas pour être entendu. Le peu qu’il nous a manifesté lui-même de ses idées est une apocalypse inintelligible ; la masse de sa doctrine, qui s’appelle dans le parti la science tout court et par excellence, est répandue par ses disciples, qui ont toute la ferveur et toute l’imbécillité nécessaires au métier d’apôtre. Leur admiration pour le maître est sans bornes, et ce qui est tout à fait naturel, c’est que son mépris pour ses disciples est sans mesure.

Il aime à les humilier lorsqu’ils sont assemblés autour de lui bouche béante pour écouter ses oracles ; et il ne se cache pas dans ses tête-à-tête avec les postulants et les novices, ou avec les députés des provinces et des pays étrangers, du peu de cas qu’il fait des interprètes de sa doctrine. Le ton cynique qu’il a pris convient encore très-bien à un chef de secte. Lorsque, en qualité de médecin de Mme de Pompadour, il était logé dans l’entre-sol de son appartement de Versailles, il avait choisi le rôle d’homme sévère et de frondeur de la cour, et ce n’est pas la plus mauvaise tournure que l’ambition puisse prendre :