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FÉVRIER 1768.

Prusse, mort à dix-neuf ans de la petite vérole, au mois de mai 1767, par le roi de Prusse. Cet éloge a été lu dans une assemblée de l’Académie royale des sciences de Berlin, le 30 décembre de l’année dernière. L’auguste auteur de cet écrit a raison : le plus bel éloge d’un prince de dix-neuf ans, c’est d’en mériter un. Celui dont il est question ici est très-digne de la plume du philosophe couronné qui demeure vers la Sprée, pour me servir des termes de M. Josias Rossette ; on y voudrait cependant un peu plus de sentiment.

— La fureur de compiler, d’abréger, d’extraire, est si grande, qu’un certain M. de Montreille, qui est sans doute compagnon de la communauté des sangsues, vient d’abréger le roman de Robinson Crusoé[1]. Il dit qu’il en a surtout retranché les maximes dangereuses. Il peut compter que, lui, il sera retranché de toute bibliothèque bien composée.

Étrennes aux morts et aux vivants, ou Projet utile partout où l’on est mortel. En deux chapitres, pour somme et prix de quinze sols, et moyennant une lecture de soixante-dix pages, vous saurez quels sont les expédients et la police que l’auteur imagine pour ne plus enterrer les morts au milieu des vivants, comme cela est sagement établi dans Paris. Je ne puis me dispenser de jeter de temps en temps un œil de pitié sur les historiens, les philosophes, les critiques, et tous ceux qui s’occupent du métier dangereux et frivole de la recherche de la vérité. Quel est celui d’entre eux qui, éloigné de la capitale de France par la distance des temps et des lieux, pourra douter qu’on ait cessé avec l’année 1765 d’enterrer les morts dans les églises de Paris ? L’arrêt solennel du parlement de Paris du 21 mars 1765 ne défend-il pas absolument de suivre cet usage, passé le dernier décembre de cette année ? Ne prescrit-il pas aux paroisses tout ce qu’il faut faire pour enterrer les morts hors de Paris ? N’a-t-il pas été publié, affiché, inséré dans tous les papiers publics ? La vérité d’aucun fait historique peut-elle être certifiée par aucun témoignage plus authentique ? Eh bien, malgré cet arrêt si solennel, si étendu, si prévoyant tout ce qui pourrait

  1. C’est M. Savin, professeur d’humanités à Bordeaux, qui a fait paraître, sous le nom de Montreille, un abrégé de Robinson Crusoé, avec le titre d’Isle de Robinson Crusoé, Londres et Paris, 1768, in-12. L’ouvrage a reparu, en 1774, sous le titre de Robinson dans son Isle. (B.)