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FÉVRIER 1768.

de rappeler l’histoire déplorable de la tragédie d’Abbeville, on aurait pu attribuer cette sévérité à un ressentiment personnel, et la vengeance fut différée. Cependant, malgré le fagot allumé au bas du grand escalier, on n’a pu inquiéter la personne de l’auteur, qui n’avait pas fait imprimer son Histoire impartiale sans avoir la permission du vice-chancelier dans sa poche.

Je doute que M. Linguet obtienne jamais une place parmi nos bons écrivains, malgré les honneurs du bûcher que le Parlement lui a décernés. Cependant, l’intérêt du sujet a fait lire son Histoire impartiale, qu’il a dédiée au roi de Prusse par une épître fort étendue, où il cause assez familièrement avec ce monarque, quoique, selon toutes les apparences, il ne soit pas fort lié avec Sa Majesté. S’il trouve les jésuites pas plus coupables en Europe que les autres moines, il fait en revanche un pompeux éloge de leur gouvernement au Paraguay. Voilà nos Français ! ils ignorent ce qui se passe dans l’élection de Moulins ou d’Alençon, et ils savent par cœur, et au bout des doigts, tout ce qui se fait au Paraguay ou à la Chine ; et ils vous en rendent compte avec une confiance des plus intrépides. Les dernières nouvelles venues d’Espagne semblent prouver que l’empire des jésuites, au Paraguay et dans les autres contrées du nouveau monde, n’était pas moins précaire qu’en Europe.

— Il faut terminer la revue des œuvres spirituelles de cet ordinaire par un sermon fraîchement sorti de la manufacture de Ferney. Il est intitulé Sermon prêché à Bâle le premier jour de l’an 1768 par Josias Rossette, ministre du saint Évangile. Ce M. Josias Rossette est un brave et digne prédicateur de la tolérance. Il rappelle à ses auditeurs le grand exemple donné l’année dernière par l’Impératrice de Russie, par le roi de Pologne, qui ont dit à la tolérance : Asseyez-vous sur mon trône, et qui nous ont donné un spectacle aussi touchant que nouveau, en n’employant leur autorité que pour cimenter l’union, la justice et la modération entre les citoyens de la même patrie, quoique de croyances diverses. Le prince Primat, philosophe, s’attire aussi la bénédiction de M. Josias. Le but de ce saint homme de Dieu est de faire goûter la tolérance aux treize cantons suisses car, quoique ce M. Josias parle tout juste avec autant de grâce et de chaleur que M. de Voltaire, il ne se mêle des