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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

M. l’archevêque de Paris. Il y a apparence que ce primat a voulu prouver que le salut des âmes de son diocèse lui était aussi cher qu’aux autres évêques. Je pense toujours à l’embarras et à l’étonnement où seront les savants dans deux ou trois mille ans, si une pièce comme celle-ci échappe à l’injure du temps. Ils trouveront un centon de quatre-vingts pages de passages de l’Ancien et du Nouveau Testament, de toutes sortes de Pères de l’Église artistement cousus ensemble, et qu’à ces causes il est permis à tous les fidèles de manger du fromage, du beurre, du lait et même des œufs pendant le carême. Ils se casseront la tête pour découvrir la liaison et la logique de ces idées, et je suis persuadé que les critiques qui ont de l’imagination trouveront une foule d’explications ingénieuses qui prouveront l’affinité du fromage avec saint Paul et saint Augustin.

M. Séguier, qui, depuis la retraite de maître Omer Joly de Fleury, est monté à la place de premier avocat général du roi au parlement de Paris, vient aussi de publier un Mandement sous le titre de Réquisitoire fait en Parlement contre un livre en deux volumes in-12 assez considérables, intitulé Histoire impartiale des jésuites depuis leur établissement jusqu’à leur première expulsion. En conséquence de ce réquisitoire, le Parlement a rendu un arrêt pour faire lacérer et brûler cette Histoire impartiale par la main du bourreau. Cet ouvrage a paru au commencement de l’année, et a fait quelque sensation. Les jansénistes l’ont trouvé très-partial. Il est de M. Linguet, avocat au Parlement, connu par plusieurs ouvrages, et entre autres par une Théorie des lois civiles, qu’il a publiée il y a environ un an. On dit ce M. Linguet un assez médiocre sujet quant à la conduite ; mais je crois que son plus grand tort, aux yeux de Messieurs du Parlement, c’est d’avoir composé, en sa qualité d’avocat, une consultation en faveur de ces infortunés enfants d’Abbeville condamnés à la mort. Cette consultation, signée par les plus célèbres avocats de Paris, déplut fort au Parlement, qui, n’osant la supprimer, en fit acheter presque toute l’édition ; de sorte que très-peu d’exemplaires parvinrent à la connaissance du public. Il ne serait pas impossible que cet auguste corps eût conservé quelque rancune contre M. Linguet. Il avait déjà eu envie de brûler, l’année dernière, la Théorie des lois civiles ; mais l’auteur s’étant permis, dans la préface,