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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

agréable, qu’il rappelle les tableaux touchants et intéressants de la vie champêtre ; et, pour tout dire, c’est que le parterre et le gros du public aiment les sentences à la folie. Je le savais bien, et j’ai prédit son succès, malgré la faiblesse de la musique, malgré le faux naturel du poëte. Si M. Sedaine avait traité ce sujet avec le génie particulier qu’il a, et avec l’art de manier un sujet, qu’il possède au suprême degré, je suis sûr qu’il m’aurait fait pleurer depuis le commencement jusqu’à la fin, comme il m’est arrivé quelquefois à Rose et Colas.


— J’ai lu quelque part, dans les ouvrages de M. de Bielfeld, la manière dont un ministre du roi de Prusse s’y prenait pour pénétrer les secrets du cabinet de Copenhague, du temps du roi Christian VI. Les ministres de Sa Majesté danoise, intrigués de savoir par quel moyen cet envoyé était parvenu à mander toujours exactement les résolutions les plus cachées du conseil à son maître, cherchèrent à l’enivrer un jour pour découvrir son secret. Le ministre prussien le leur confia en effet. Il ne lui était pas difficile, disait-il, de savoir sur quoi roulaient à peu près les délibérations du conseil danois. Quand il était parvenu à en savoir l’objet, il examinait quel était le plus mauvais parti qu’on pût prendre sur cet objet, et il le mandait à Berlin comme pris. Il prétendait, au moyen de cette méthode, rencontrer au moins dix-neuf fois sur vingt. Je ne prétends pas, moi, contester la bonté de cette méthode ; je crois seulement qu’elle ne peut convenir à tous les cabinets de l’Europe indistinctement et dans tous les temps, et que, nommément à Copenhague, elle pourrait n’être pas bonne sous le ministère de M. le comte de Bernstorf ; mais je conviens que je m’en suis toujours servi avec succès dans toutes les opérations des théologiens ; on peut compter qu’en toute occasion ils prendront toujours le parti le plus absurde. Ainsi, j’étais persuadé, malgré toutes les fluctuations de la Sorbonne, qu’elle ne nous frustrerait pas de la censure de Bélisaire. J’étais bien sûr aussi que M. l’archevêque de Paris ne nous priverait pas d’une Instruction pastorale sur le beau sujet de la damnation éternelle de Marc-Aurèle, et de la nécessité de l’intolérance ; et ce digne prélat vient de remplir mes espérances par un beau Mandement portant condamnation de l’aveugle Bélisaire, lu aux prônes, publié, affiché dans tous les coins de Paris, à côté des remèdes