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FÉVRIER 1768.

de Dorimène, qui n’est pourtant rien ! Mais c’est que Mlle Dangeville ne sera jamais remplacée. La scène où les deux amis se font la confidence réciproque de la prétendue trahison de leurs maîtresses est, comme je l’ai déjà dit, celle qui a décidé du sort de la pièce. Molé, qui a joué le rôle de Dormilly, a aussi infiniment contribué au grand succès qu’elle a eu. Il a joué avec une vivacité, une légèreté, une gentillesse dont il est difficile de se faire une idée quand on ne l’a point vu. C’est un acteur charmant dans le haut comique, qui s’est singulièrement formé depuis quelques années. On n’a pas été content de Préville dans le rôle de Mondor. Préville n’a pas le masque de ce rôle-là. Le mordant de sa voix, son menton en sabot, peut-être l’habitude que nous avons de le voir dans les rôles de Crispin et de valet, lui donnaient un air gascon et burlesque ; et le ridicule de M. Mondor est autre chose.

— Deux jours après les Fausses Infidélités, on a donné sur le théâtre de la Comédie-Italienne les Moissonneurs, opéra-comique en trois actes, ou, pour parler comme nos auteurs, comédie en vers, mêlée d’ariettes. Cette pièce est de M. Favart, et la musique de M. Duni. La fable de cette pièce est bien mal conçue, bien mal ourdie, bien mal développée. Les scènes sont un tissu de choses simples artificieusement entourées et brodées de sentences, de maximes, de concetti à la Favart. On peut faire lire cette pièce aux jeunes gens pour essayer s’ils ont le goût juste, et s’ils remarqueront la fausseté des discours malgré l’apparence du vrai et l’affectation de la simplicité des sentiments. Le public n’a été choqué que de la trop grande abondance de sentences. On a dit que ce n’était pas là une comédie, mais un sermon ; on a dit que le R. P. Favart était venu prêcher son petit carême, pendant le carnaval, sur le théâtre de M. Arlequin. La musique de M. Duni est très-faible ; ce compositeur ferait bien de renoncer au métier, puisque son voyage en Italie ne lui a pas rafraîchi la tête. Il n’y a pas un seul morceau passable dans les deux premiers actes ; et ce qu’il y a d’agréable dans le troisième sont des airs que M. Duni a tirés de ses anciens opéras italiens, et adaptés aux paroles françaises. Malgré tout cela, les Moissonneurs ont eu un très-grand succès, et je soutiens et prédis qu’ils seront fort suivis. C’est que le spectacle en est