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JANVIER 1768.

nouveau, à qui M. Collé ne peut pardonner d’avoir tué l’opéra-comique en vaudevilles. Ce prologue est peu de chose. Cependant la scène épisodique du marquis ivre, qui surprend sa femme avec son amant, qu’elle fait cacher pendant cette visite dans son cabinet de toilette, est excellente : aussi souvent que M. Collé a à faire parler des hommes corrompus, des femmes perdues, il est un des grands peintres qu’il y ait ; tirez-le de là, et il ne vaut plus rien. C’est un fort honnête homme, mais ce n’est pas un écrivain honnête. Sa tragi-comédie de Tanzai est le roman de Crébillon mis en action. Cela est encore honnêtement indécent, et du reste bien peu de chose. En revanche, le prologue de la Lecture, qui est à la tête, est un petit chef-d’œuvre. C’est un auteur qui lit une pièce à un conciliabule de juges à la mode. Ces juges sont un président, madame la présidente, chez qui la lecture se fait à la campagne, un commandeur, un chevalier, un abbé, et Mlle Gaussin. Tous ces rôles sont excellents, excepté celui de l’auteur, qu’il était aisé de rendre aussi comique que les autres, en lui donnant cette alternative de confiance et d’inquiétude, de tranquillité et d’alarmes, qui sont les grâces et les fléaux de cet état : on dirait que M. Collé n’a pas osé peindre sa profession en ridicule. La lecture de la pièce est achevée lorsque le prologue commence : il y a de l’esprit à cela, car les lectures sont aussi insipides au théâtre que les repas. Il n’est donc plus question que de juger la pièce. Le président la trouve trop licencieuse ; c’est un sot grave et pédant que ce président. Sa femme n’y trouve rien de trop libre, et, après avoir dit son avis, elle sort avec le chevalier, et fait une absence des plus scandaleuses personne ne peut se méprendre sur ce qu’elle fait avec le chevalier pendant qu’on disserte dans le salon sur la pièce, et il n’y a que M. le président qui ne soit pas inquiet de cette éclipse. Le commandeur est bègue. L’abbé est un de ces juges importants, de ces conseillers profonds qui donnent des avis en phrases coupées qui ne signifient rien. Il demande pour toute grâce en s’en allant, après n’avoir rien dit, de n’être pas cité. Ce rôle est excellent ; celui de Mlle Gaussin est charmant. Il est fait d’après nature ; c’est sa petite malice douce et naïve ; on croit entendre ce son de voix enchanteur qui lui faisait autant de conquêtes que ses yeux. Cependant M. Collé nous