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JANVIER 1768.

comique en trois actes, par M. Collé, lecteur de M. le duc d’Orléans, et la musique par M. Monsigny, à qui ce prince vient d’accorder une place de maître d’hôtel. L’Île sonnante avait été faite pour le théâtre de M. le duc d’Orléans à Villers-Cotterets, où elle fut représentée pendant le voyage de l’été dernier. Quelle que soit l’indulgence des spectateurs à qui un prince fait partager ses amusements avec autant de politesse que de désir de plaire, l’Île sonnante tomba à Villers-Cotterets, comme on dit, tout à plat, et l’on n’osa jamais risquer de la jouer une seconde fois. Cet arrêt n’a pas épouvanté M. Collé, ou du moins il a voulu le faire ratifier par le public de Paris, qui a rendu le 4 de ce mois un arrêt confirmatif de la sentence de Villers-Cotterets, sans mettre cependant le poëte et le musicien hors de cour et de procès : c’est-à-dire que cette Île sonnante aura pourtant quelques faibles représentations.

On trouve une Île sonnante dans Rabelais. Celle de M. Collé est peuplée par des gens qui parlent en chantant, ou du moins en rimant. Aussi ses personnages s’appellent M. Vivace, ou à la française, Vivatché, M. Piano, M. Presto, Mme Mélophanie, qui s’appelait à Villers-Cotterets Cacophonie. Voilà des noms de bon goût ! M. Collé, qui enrage depuis longtemps que l’opéra-comique en musique ait écrasé ici l’opéra-comique en couplets, a voulu faire la satire de l’opéra-comique en musique ; mais cette satire est la plus triste et la plus détestable de toutes les bouffonneries. Cela était digne d’être représenté sur le théâtre de Nicolet, entre le Procès du Chat, ou le Savetier arbitre, et les Écosseuses de la Halle, ambigu poissard, deux chefs-d’œuvre de l’immortel M. Taconet, auteur et acteur de ce théâtre, dont M. de La Place, dans le Mercure de France, vient de faire un éloge si pompeux et si extraordinaire que ses abonnés ne peuvent se dispenser de regarder le théâtre de Nicolet comme le théâtre de la nation, Mme Nicolet comme une actrice qui fait parfaitement oublier Mlle Clairon, et M. Taconet comme un des plus grands hommes qui aient illustré la France. Si M. de La Place garde encore quelque temps le Mercure, il pourra bien le faire tomber sans ressource, à force d’illustres bêtises. Mais revenons à l’Île sonnante. Tenez, monsieur Collé, la satire est naturellement chagrine, et n’est pas gaie, et une bouffonnerie qui n’est pas gaie est détestable. Les fous sont tristes au