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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

Il n’y a presque point de scène dans cette tragédie infortunée qui ne rappelle une situation à peu près semblable de Mérope, d’Iphigénie, d’Andromaque, d’Athalie. C’est une des maladresses les plus insignes de ce pauvre poëte. Partout il a l’air de vous dire : Voyez comme je suis loin des modèles que j’ai voulu piller !

J’avais à côté de moi un homme qui était au fait de l’histoire de M. Ducis, et qui nous la contait. Il nous apprit entre autres que M. Ducis avait un logement à la Ménagerie. « Parlez donc français, lui dit son voisin, et dites une loge. » Bonsoir à M. Ducis dans sa loge !

— Nous avons eu depuis peu deux débuts sur le théâtre de la Comédie-Française. M. Neuville, acteur de province, a débuté dans les grands rôles tragiques. Il a fort déplu au parterre et à moi aussi. Je n’ai rien dit, mais le parterre a hué. Ceux qui ont vu jouer cet acteur en province prétendent qu’il a du talent, et que c’est la mauvaise réception du public de Paris qui lui a fait perdre la tête. Ils conviennent qu’il est d’une vanité insupportable ; elle est rarement accompagnée du talent. Ce que je sais, en attendant que je sache à quoi m’en tenir sur le talent de M. Neuville, c’est qu’il a la tête enfoncée entre les épaules, ce qui lui donne sur le théâtre l’air d’un bossu insolent.

L’autre débutant est M. Chevalier. Il a joué les rôles de Molé dans le haut comique, et il a été fort accueilli par le parterre. On lui trouve cependant peu d’intelligence, sans compter que son petit nez retroussé lui donne l’air d’un petit polisson. Malgré cela, je le reçois à l’essai, si l’on me consulte. Il a au théâtre l’air excessivement jeune et enfant, et dans beaucoup de rôles cela fait un avantage très-réel et les trois quarts du succès. Quelque vivacité, quelque gentillesse que Molé mette dans ces sortes de rôles, il n’a pas l’air d’un jeune homme de dix-sept ans, et toute l’illusion du théâtre ne peut fasciner les yeux assez pour qu’ils ne soient pas continuellement blessés de ce manque de vraisemblance. D’ailleurs, l’extrême jeunesse de Chevalier laisse des espérances qu’il pourra se former, et que son entendement pourra lui venir.

— Le 4 de ce mois, on a donné sur le théâtre de la Comédie-Italienne la première représentation de l’Île sonnante, opéra--