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JANVIER 1768.

ces honnêtes gens qui savent être fripons avec les fripons, et couvrir dans l’occasion une sainte perfidie sous le masque de l’amitié.

Orobase assemble l’armée pour entendre l’oracle des dieux. Amélise se croit perdue. Elle harangue l’armée. Elle lui présente son fils. Elle crie aux guerriers :

Formez autour du roi de vivantes murailles.


Elle n’épargne pas les invectives contre l’usurpateur ; elle lui souhaite que la couronne

Devienne un fer brûlant qui s’attache à sa tête.


Orobase répond par d’autres imprécations. L’armée est indécise. Le grand-prêtre fait cesser cette terrible bagarre en révélant tous les crimes d’Orobase. Cette révolution, aussi soudaine qu’inattendue, ne fait pas perdre courage à ce scélérat hardi. Il veut encore commander l’armée ; mais Gélanor arrive à propos à la tête des Grecs. Orobase est abandonné par ses troupes, et obligé de se punir lui-même en s’enfonçant un poignard dans le ventre.

Vous direz qu’on ne peut voir un plan plus absurde, plus extravagant, plus opposé au sens commun que le plan d’Amélise, et qu’il n’est pas étonnant que cette pièce ait été sifflée. Ce n’est pourtant pas la platitude et l’absurdité du plan qui l’ont fait tomber, et nous avons vu des tragédies en plein succès, quoique leur plan fût pour le moins aussi ridicule que celui de M. Ducis. Quand je ne me rappellerais que la tragédie de Zelmire, par M. de Belloy, je prouverais, je crois, aisément, que M. Ducis n’a aucun avantage du côté de l’absurdité sur son heureux rival. Mais si le public de Paris est d’une facilité beaucoup trop grande sur ce qui dans les ouvrages d’esprit est du ressort de l’invention et du jugement, il est, en revanche, d’une sévérité intraitable sur tout ce qui tient à la diction et au style, et la platitude à cet égard est une maladie dont les auteurs ne relèvent jamais. Le fer brûlant et les vivantes murailles ont fait plus de tort à M. Ducis que toutes les extravagances qu’il aurait pu ajouter, dans la conduite de sa pièce, aux extravagances qui y sont déjà.