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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

Dumesnil, qui n’a jamais été charmante, et qui vers la fin de son automne l’est moins que jamais ; vous avez beau me dire que cet amour couvrira de ridicule ce pauvre Gélanor, et le rendra la fable de l’armée et du parterre : je lui ai fait toutes ces observations, mais M. Ducis lui a persuadé qu’il n’y avait rien de si beau que d’aimer la vieille veuve de son ami ; et Gélanor est amoureux comme un roman.

Cet amour est bien fatal à la veuve, car il ne lui est pas sitôt déclaré que son excessive délicatesse lui fait rejeter la protection de Gélanor, qu’elle était venue implorer. J’ai encore fait mes remontrances à la veuve, à ce sujet. Je lui ai représenté que, dans la position où elle se trouvait, sa délicatesse était très-déplacée ; qu’elle n’avait d’autre appui, d’autre défenseur contre la méchanceté d’Orobase, que ce Gélanor ; que cet amant respectueux et tendre n’exigeait aucun retour pour prix de ses secours ; que si, pour une simple déclaration d’amour, elle aimait mieux s’en passer et périr, elle n’avait pas du moins le droit d’en priver son fils ; que la métaphysique délicate et raffinée dont elle se servait avec Gélanor pouvait être à sa place dans un boudoir de veuve à Paris, et faire refuser un écran que l’ami du défunt aurait apporté pour étrennes, après avoir risqué sa déclaration, mais qu’une mère de famille ne refusait point l’épée d’un galant homme dont elle a un si urgent besoin, parce que ce galant homme a ressenti le pouvoir de ses beaux yeux. J’ai fait toutes ces représentations, et j’en ai été pour ma rhétorique : les personnages de M. Ducis sont d’une obstination diabolique.

Pendant qu’Amélise s’amuse de ces mièvreries, Orobase ne perd pas son temps. Il se lie avec le grand-prêtre, dont le pouvoir sur l’esprit du peuple est sans bornes, et tandis qu’il témoigne à sa belle-sœur les plus grands regrets des nuages qu’on a répandus sur la naissance de son fils, il forme avec le grand-prêtre le complot de sacrifier la mère et le fils aux dieux, qui auront la complaisance de demander ces victimes par la bouche de leur ministre. En attendant ce funeste arrêt, Amélise et Arsacès sont confinés dans le temple pour être sous la protection immédiate des dieux.

Ces dieux les auraient mal défendus contre les entreprise d’Orobase ; mais heureusement leur grand-prêtre est un de