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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

sister à son enterrement en grande loge à la vue de tout le public. Un honnête homme n’expose pas sa femme à de si dures épreuves, et quand il ne meurt pas de faim, il ne fait que des tragédies qui puissent réussir. Heureusement nous n’avons point de jeune poëte tragique en succès, sans quoi il pourrait prendre fantaisie à Mme Ducis de se dédommager par les succès d’un amant des chutes du mari, et que deviendraient le repos et la gloire de M. Ducis, dans cet enchaînement de désastres ?

On dit que ce poëte malheureux a suivi, en qualité de secrétaire, M. le comte de Montazet dans toutes les campagnes que cet officier général a faites pendant la dernière guerre dans les armées d’Autriche en Bohème, en Saxe et en Silésie ; aussi n’a-t-il pas manqué de mettre le lieu de la scène dans un camp. Sa pièce est tout entière de sa composition ; sujet, fable, intrigue, incidents, caractères, catastrophes, tout est sorti de sa pharmacie. Il nous a servi cette médecine en cinq pilules bien dures à avaler ; j’espère que vous me saurez gré d’avoir réduit ces cinq pilules en un seul bol, que je tâcherai d’amincir le plus qu’il me sera possible.

La veuve Amélise, connue dans la paroisse des Comédiens ordinaires du roi sous le nom de Dumesnil, avait épousé en légitime nœud feu Phraate, roi des Parthes, et en avait eu un fils nommé Arsacès. Orobase, frère de Phraate, était un de ces esprits entreprenants et tracassiers qui porteraient le trouble dans les ménages les mieux unis. Celui-ci avait seulement formé le petit projet de se faire roi à la place de son frère. Pour l’effectuer, il fallait trouver le moyen de se défaire du frère, de la belle-sœur et du petit-neveu ; il fallait aussi chercher à se faire un parti puissant dans l’empire et à gagner la confiance du peuple. C’est par où Orobase a commencé. Un dehors composé et des mœurs austères lui donnent bientôt la réputation de patriote et d’homme vertueux. Quand il croit avoir assez cimenté son édifice, il commence à travailler à l’écroulement de celui de son frère.

D’abord il sème des bruits injurieux à la vertu et à la réputation d’Amélise. Il fait répandre que le jeune prince Arsacès n’est pas fils de son père, mais qu’Amélise l’a eu d’un ministre du roi, son époux, avec lequel elle entretenait, suivant les émis-