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JANVIER 1768.

qu’une conséquence naturelle de la réponse qu’on lui a faite ; malgré cela, il ne rencontre jamais juste. Aussi il marche de surprise en surprise. Quand on lui a expliqué la trinité et les principaux dogmes, on le mène dans une église pour lui montrer comment on fabrique Dieu. On lui explique tous les procédés de la messe, et l’on finit par le baptiser avant qu’il ait su de quoi il est question. Il n’y a proprement rien de nouveau dans cet écrit ; mais tout ce qui a été dit sur cette matière à Ferney et ailleurs est employé ici d’une manière neuve, et rapproché d’une manière originale et plaisante. Chaque question ne tient guère plus d’une ligne ou deux. Chaque réponse n’en tient pas davantage ; et les questions et les réponses se succèdent avec cette rapidité depuis le commencement jusqu’à la fin. Il y a dans cette brochure de quoi exercer le tact de ceux qui se piquent de se connaître en manière et en style. Vient-elle de Ferney, n’en vient-elle pas ? Cela n’est pas aisé à décider en dernier ressort. Il y a des choses d’une grande gaieté, il y a quelques mauvaises plaisanteries ; il y en a d’un très-bon ton, il y en a de mauvais ton. Vers les deux tiers de la brochure il y a quelques longueurs. Il y a des phrases et des traits que je croirais de M. de Voltaire comme si je les lui avais vu écrire ; il y en a d’autres, mais en petit nombre, qui me paraissent tout à fait hors de sa manière. En un mot, la brochure est-elle de M. de Voltaire, n’en est-elle pas ? Si l’on me disait oui, je n’en serais pas fort étonné ; si l’on me disait non, je demanderais qui pourrait l’avoir faite.

— Cette lassitude générale du christianisme qui se manifeste de toutes parts, et particulièrement dans les États catholiques, cette inquiétude qui travaille sourdement les esprits et les porte à attaquer les abus religieux et politiques, est un phénomène caractéristique de notre siècle, comme l’esprit de réforme l’était du seizième, et présage une révolution imminente et inévitable. On peut bien dire que la France est le foyer de cette révolution, qui aura, sur les précédentes du moins, l’avantage de s’effectuer sans qu’il en coûte du sang[1] ; mais dans les pays éloignés du foyer, le feu n’en couve pas moins et se mani-

  1. Grimm n’en pouvait prévoir les malheurs, parce qu’il ne prévoyait pas les obstacles que l’aveuglement et les préjugés chercheraient à opposer à cette révolution inévitable et salutaire. (T.)