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JANVIER 1768.

si grande vogue dans son temps[1], est de lui. On prétend qu’il est l’auteur d’un autre ouvrage qui vient de sortir de la boutique de Marc-Michel Rey, d’Amsterdam. Il est intitulé le Militaire philosophe, ou Difficultés sur la religion proposées au révérend Père Malebranche, prêtre de l’Oratoire ; par un ancien officier. À Londres, 1768. On assure que cet ouvrage est connu en manuscrit depuis bien longtemps ; je n’en avais jamais entendu parler[2]. Quoi qu’il en soit, il est certain qu’il ne sort ni de la manufacture de Ferney, ni de celle d’où nous sont venus le Christianisme dévoilé, la Théologie portative, et d’autres écrits de ce genre. C’est une troisième manière dont la source est ou véritablement ancienne, ou bien entièrement neuve et encore inconnue. Cela n’a pas le piquant des ouvrages de la fabrique de Ferney ; mais cela est fait avec une simplicité et un bon sens peu communs. « Vous m’assurez, dit l’auteur, que par vos messes et par vos prières vous tirez des âmes du purgatoire. Je ne vous en demande pas tant ; je vous prie de me tirer, par vos messes, un homme seulement de la Bastille. » Tout est écrit avec cette simplicité. L’ouvrage est partagé en dix-huit vérités. À la fin de chacune il y a un résumé en forme de syllogisme. Je crois que l’auteur peut hardiment défier et le P. Malebranche, et tous les logiciens de l’Europe, de lui répondre en syllogismes aussi clairs, aussi précis, aussi nets que les siens. Serait-ce donc un avantage réservé à la vérité d’avoir toujours un fatras de raisonnements à perte de vue à opposer aux objections les plus pressantes par leur simplicité même ? L’auteur emploie les premiers chapitres ou les premières vérités de son livre à établir le droit, l’aptitude et le devoir indispensable de chaque homme d’examiner sa religion ; il démontre ensuite la compétence de la raison humaine à juger ce procès, et il prétend qu’on est obligé d’abandonner sa religion quand on la trouve fausse et mauvaise. Après cela il entreprend de prouver qu’aucun livre ne peut être l’ouvrage de Dieu, qu’aucune religion factice ne peut établir ses faits avec certitude, pas même avec vraisem-

  1. Le Chef-d’œuvre d’un inconnu.
  2. Le Militaire philosophe, ou Difficultés sur la religion proposées au P. Malebranche, Londres (Amsterdam, Rey), 1768, in-8°. Ouvrage refait en très-grande partie par Naigeon sur un manuscrit intitulé Difficultés sur la religion proposées au P. Malebranche. Le dernier chapitre est du baron d’Holbach. (B.)